Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/259

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j’ai apprise dans le palais de mon père ; car, tout accablée que je suis sous le poids des maux, bannie, suppliante, seule, délaissée, en butte à tous les coups, j’ai eu cependant pour père un roi puissant, et ma naissance est glorieuse, puisque j’ai le Soleil pour aïeul. Tous les pays que le Phase, en ses détours, baigne de ses eaux tranquilles ; tous ceux que la mer de Scythie borne à l’Occident, aux lieux où l’eau des fleuves forme de vastes marais qui adoucissent l’amertume des ondes salées ; toutes les terres que fatiguent de leurs courses les guerrières aux boucliers échancrés, qui se condamnent au veuvage sur les bords du Thermodon ; toute cette étendue forme le royaume de mon père. J’ai eu mes beaux jours de gloire, de bonheur et de royale puissance ; j’ai vu des amants, dont les rois recherchent aujourd’hui l’alliance, briguer l’honneur de ma main. Mais la fortune, inconstante et légère, m’a arrachée du trône pour me livrer à l’exil. Fiez-vous donc à la puissance, quand il ne faut qu’un moment pour détruire tant de gloire et de bonheur. Le plus grand, le plus beau privilège des rois, celui que nul coup du sort ne leur peut ravir, c’est d’assister les malheureux, de donner un sûr asile aux suppliants ; voilà le seul trésor que j’aie emporté de Colchos. J’ai cette gloire immense d’avoir sauvé moi-même la fleur des guerriers de la Grèce, tous ces héros enfants des dieux et le soutien de leur patrie. C’est à moi qu’elle doit Orphée, ce chantre admirable qui attendrit les rochers et traîne les forêts à sa suite ; c’est à moi qu’elle doit Castor et Pollux, et les enfants de Borée, et Lyncée, dont la vue perçante découvre les objets placés