Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/325

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geances. Quel grand forfait pouvait commettre ma main sans expérience ? que pouvait la fureur d’une vierge timide ? Maintenant je suis Médée, et mon génie s’est fortifié dans le crime.

Oui, je m’applaudis maintenant d’avoir coupé la tête de mon frère ; je m’applaudis d’avoir mis son corps en pièces, et dépouillé mon père de son mystérieux trésor. Je m’applaudis d’avoir armé les mains des fils de Pélias contre les jours de leur vieux père. Cherche le but que tu veux frapper, ô ma colère, il n’est plus de crime que ma main ne puisse exécuter. Où vas-tu adresser tes coups ? et de quels traits veux-tu accabler ton perfide ennemi ? J’ai formé dans mon cœur je ne sais quelle résolution fatale que je n’ose encore m’avouer à moi-même. Insensée que je suis ! j’ai trop hâté ma vengeance. Plût au ciel que mon parjure époux eût quelques enfants de ma rivale ! Mais ceux que tu as de lui, suppose qu’ils sont nés de Creuse. J’aime cette vengeance, et c’est avec raison que je l’aime ; car c’est le crime qui doit couronner tous mes crimes. Mon âme, allons, prépare-toi : enfants, qui fûtes autrefois les miens, c’est à vous d’expier les forfaits de votre père.

Mais je frémis ; une froide horreur glace tous mes membres, et mon cœur se trouble. La colère est sortie de mon sein, et la vengeance de l’épouse a fait place à toutes les affections de la mère. Quoi ! je répandrais le sang de mes fils, des enfants que j’ai mis au monde ? C’en est trop, ô mon âme égarée ; ce forfait inouï, ce meurtre abominable, je ne veux pas le commettre. Quel est le crime de ces malheureux enfants ? Leur crime, c’est