Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/127

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L’homme qui sait mourir ne peut être misérable. Que son navire se brise au milieu des mers soulevées, que le vent du nord dispute au vent du midi, et l’Eurus au Zéphyr, il ne cherchera point à recueillir les débris de son vaisseau mis en pièces, pour gagner le rivage sur une planche fragile. Celui-là seul n’a point à souffrir les horreurs du naufrage, qui peut sans hésiter faire le sacrifice de sa vie.

Nous, la pâleur défigure nos visages, des pleurs coulent de nos yeux, et les cendres de la patrie souillent nos cheveux en désordre. Ni les flammes dévorantes ni la chute de nos murailles n’ont pu nous ôter la vie. Tu cherches les heureux, ô mort ! et tu fuis les misérables. Le sol de notre ville se couvrira de moissons et de forêts : nos temples croules se changeront en cabanes : bientôt le Dolope glacé conduira ses troupeaux sur les cendres tièdes encore de la triste Œchalie. Le pâtre du Pinde viendra s’asseoir sur les ruines de notre ville, et, sur sa flûte rustique, redira nos malheurs dans ses chants lugubres. Il ne faut que peu de siècles pour qu’on cherche la place où fut notre patrie.

Heureuse, j’habitais une terre fortunée et les riches campagnes de la Thessalie. Maintenant on m’entraîne vers les rochers de Trachine, sol pierreux tout hérissé de buissons brûlés du soleil, et qui peuvent à peine fournir la pâture aux chèvres de montagnes. Les plus heureuses d’entre nous seront transportées sur les bords du rapide Inachus, ou dans la ville de Dircé, que le faible Ismène arrose de ses eaux languissantes. C’est là