Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/15

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Retournons : ne vaut-il pas mieux rester au milieu des tristes fleuves de l’enfer ? Ne vaut-il pas mieux voir le gardien du Styx agiter sur son triple cou sa crinière de serpents ? Oui, je préfère ces lieux où le malheureux Ixion, attaché sur sa roue, tourne rapidement sur lui-même ; où Sisyphe se consume inutilement à rouler cette roche qui retombe toujours ; où un vautour avide ronge le foie sans cesse renaissant de Tityus ; où, dévoré d’une soif ardente au sein d’un fleuve, le vieux Tantale cherche en vain à saisir les eaux qui échappent à ses lèvres, expiant ainsi le repas funeste qu’il servit aux dieux. Mais que son crime est peu de chose parmi ceux de notre famille !

Rappelons-nous tous ces coupables de mon sang dont les noms se remuent dans l’urne de Minos. Moi, Thyeste, je les vaincrai tous dans ma carrière, mais je serai vaincu par mon frère ; mes flancs ont servi de tombeau à mes enfants et je me suis nourri de mes propres entrailles. Ce crime étant l’ouvrage du destin me laissait pur encore ; mais bientôt le sort me pousse à un forfait plus grand, et m’ordonne d’aller souiller le lit de ma fille. Au lieu de me révolter contre cet ordre fatal, je l’ai accepté avec joie. Ma chair est donc entrée dans celle de tous mes enfants ! ma fille, cédant à l’oracle, a porté dans son sein un fils digne de moi. Le cours de la nature est troublé ; j’ai mêlé, par un crime horrible, le père et l’aïeul, le père et l’époux, les enfants et les petits-enfants, le jour et la nuit. Mais enfin, après tant de malheurs, il faut que cet oracle obscur trouve son accomplissement. Le roi des rois, le chef de tant de chefs,