Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/163

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les vagues rapides, et faisant de grands pas pour fendre les eaux du torrent. Nessus, voyant Alcide bien loin derrière nous, me dit : « Vous êtes ma proie, et vous deviendrez ma femme ; votre époux est arrêté par le fleuve. » Et, me tenant embrassée, il redoublait de vitesse. Mais les eaux ne peuvent enchaîner les pas d’Hercule : « Perfide ! s’écrie-t-il, quand le Gange et le Danube joindraient leurs flots et couleraient dans le même lit, je les surmonterais tous les deux ; et mes flèches t’atteindront dans ta fuite. » Il n’avait pas fini de parler, que son arc était déjà tendu : la flèche part, et, faisant au Centaure une large blessure, l’arrête dans sa marche, et enfonce la mort dans son sein. Lui, les yeux déjà voilés des ombres du trépas, reçoit dans sa main le sang qui s’échappe de sa blessure, me le remet enfermé dans une corne de ses pieds qu’il détache lui-même, et me dit en expirant : « Les magiciennes m’ont assuré que ce sang avait la vertu de fixer l’amour ; c’est un secret appris aux femmes thessaliennes par la savante Mycale, qui seule a le pouvoir de faire descendre la lune du haut du ciel. Si jamais tu vois une rivale entrer dans le lit de ton époux, assez volage pour donner une autre belle-fille au maître du tonnerre, fais-lui prendre une robe trempée dans ce philtre ; mais il faut le tenir loin du jour, et le couvrir d’épaisses ténèbres, si tu veux qu’il conserve sa vertu. » L’éternel repos suivit ces dernières paroles, et le sommeil de la mort enchaîna ses membres engourdis.

Toi, la discrète confidente de mes secrets, va, prends une tunique brillante, et répands-y ce philtre amoureux, afin que par le corps de mon époux il pénètre jusqu’à