Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/201

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

soupçon, et à prouver que vous n’avez été que la victime d’une perfidie.

Déjanire

Je me défendrai là-bas, et l’enfer m’absoudra de cette accusation ; me condamnant moi-même, je laisse à Pluton le soin de reconnaître mon innocence. Fleuve de l’oubli, je me tiendrai sur ta rive silencieuse, et là, femme désolée, je recevrai mon époux. Mais toi, maître du sombre empire, songe à préparer mon supplice : mon erreur est plus coupable que tous les crimes. Junon elle-même n’a pas osé trancher les jours d’Hercule : prépare-moi d’horribles tourments. Laisse reposer la tête de Sisyphe, et fais rouler sa pierre sur mes épaules ; que le fleuve de Tantale échappe à mes lèvres, et que ses eaux perfides se jouent de ma soif. Roue d’Ixion, j’ai mérité d’être attachée à ton cercle, et soumise à tes mouvements rapides. Que l’insatiable vautour déchire les deux côtés de mon sein. Il manque aux enfers une des Danaïdes, je tiendrai sa place. Ouvrez-moi le séjour des Mânes : laisse-moi partager tes supplices, femme de Jason : mère cruelle, et sœur sans pitié, ce que j’ai fait surpasse ton double crime. Fais-moi place dans tes tourments, épouse du roi de Thrace : reçois ta fille auprès de toi, ô Althée ! et reconnais ton sang. Mais qu’est-ce que ton crime comparé au mien ? Fermez-moi l’accès de l’Elysée, fidèles épouses qui habitez les bocages heureux : mais vous qui avez répandu le sang de votre époux, vous, filles de Danaüs, qui avez éteint dans le sang les chastes flambeaux de votre hymen, c’est à vous de me reconnaître comme une sœur digne de vous. Voilà les