Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/25

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de Mycènes ; avec ton amant, sur un vaisseau rapide… Mais quelle faiblesse ! peux-tu bien parler d’exil et de fuite secrète ? c’est l’histoire de ta sœur : il te faut, à toi, de plus grands crimes.

LA NOURRICE.

Reine des Grecs, noble fille de Léda, quelles secrètes pensées roulez-vous dans votre âme ? quels sont ces mouvemens pleins de violence qui agitent votre cœur, et cette fureur qui vous domine ? Malgré votre silence, le trouble de votre âme paraît tout entier sur votre visage. Quoi que ce puisse être, attendez, et ne précipitez rien. Les maux que la raison peut guérir, souvent dans le temps trouvent un remède.

CLYTEMNESTRE.

Mes tourmens sont trop vifs pour supporter aucun retard. Je sens un feu terrible qui brûle mon cœur et la moelle de mes os. La crainte m’aiguillonne autant que le dépit. D’un côté, mon cœur est en proie à la jalousie ; de l’autre, il est subjugué par une passion honteuse, à laquelle je n’ose me livrer. Entre ces deux flammes qui me brûlent également, quoique affaiblie, sans force et déjà vaincue, ma pudeur se révolte encore ; je suis prise entre deux forces contraires, comme une mer que le vent et le flux se disputent, et qui demeure immobile, ne sachant à laquelle de ces puissances elle doit obéir. Aussi j’ai laissé tomber de mes mains le gouvernail, et je me laisse aller où la jalousie, le dépit, l’espérance me conduiront. J’abandonne mon navire au caprice des flots. Le cœur une fois égaré, le meilleur guide à suivre, c’est le hasard.