Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/323

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nous force à trahir sa famille. Nos pères étaient courageux, et braves, de vrais Romains, de vrais enfans de Mars, dont le sang coulait dans leurs veines. Ils ont chassé de leur ville la tyrannie des rois ; ils ont noblement vengé ta mort, jeune vierge qui dus mourir de la main de ton père, pour échapper à l’opprobre de l’esclavage, et ne pas devenir la proie d’une passion criminelle. Une cruelle guerre fut aussi la suite de ton trépas, malheureuse fille de Lucretius, qui te donnas toi-même la mort pour expier l’outrage et la violence d’un tyran. Ils ont puni le crime de Tarquin et de sa complice Tullia, cette fille dénaturée qui ne craignit pas de faire passer son char sur le corps de son père assassiné, et qui eut la cruauté de refuser la sépulture aux restes sanglants de ce vieillard.

Notre siècle a vu commettre le même attentat. Notre prince a mis sur un vaisseau parricide sa mère, victime d’une ruse infâme, et l’a livrée aux vagues de la mer Tyrrhénienne : les matelots, par son ordre, se hâtent de quitter le port ; la mer blanchit sous l’effort des rames, et le navire s’avance en pleine mer, quand tout à coup les planches se déjoignent, le vaisseau s’entr’ouvre et livre passage aux flots. Un cri terrible, un gémissement de femmes éperdues se fait entendre : la mort est présente à tous les yeux, chacun veut la fuir : les uns s’attachent tout nus à des planches du navire mis en