Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/33

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palais, et la ressemblance d’Oreste avec son père ? Ah ! plutôt sois touchée de leurs malheurs à venir et de l’orage qui s’apprête à fondre sur eux. Pourquoi balancer, malheureuse ? voici venir la marâtre de tes enfants, détourne d’eux sa fureur : que l’épée traverse ton flanc, s’il le faut, et fasse un double meurtre ; mêle ton sang avec le sien, et perds ton époux en mourant toi-même. Il n’y a point de malheur à périr avec celui qu’on veut perdre.

LA NOURRICE.

Reine, calmez-vous, mettez un frein à cette fureur impétueuse, et considérez la grandeur de l’entreprise où vous vous lancez. C’est le vainqueur de l’Asie et le vengeur de l’Europe qui s’avance ; il traîne après lui Troie captive, et les Phrygiens vaincus après dix ans de combats. Est-ce avec la ruse et la perfidie que vous prétendez l’attaquer ? Achille n’a pu le toucher de sa forte épée, quoiqu’il en eût armé ses mains avides de vengeance ; ni le plus brave des deux Ajax, quoique furieux et décidé à mourir ; ni Hector, qui seul arrêta les Grecs, et prolongea la guerre ; ni Pâris avec ses traits inévitables, ni le noir Memnon, ni le Xanthe qui roulait dans ses flots les armes et les corps des guerriers ; ni le Simoïs dont les eaux étaient rougies de carnage ; ni le blanc Cycnus, fils du dieu des mers ; ni les phalanges de Thrace, commandées par le belliqueux Rhesus ; ni les Amazones avec leurs carquois peints, leurs haches redoutables, et leurs boucliers échancrés : et c’est lui que vous voulez immoler à son retour ? c’est du sang de ce héros que vous voulez souiller les autels domestiques ?