Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 3.pdf/77

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vrir sa bouche qui se refuse à parler ; maintenant les paroles vont sortir de ses lèvres, le dieu qui l’inspire a vaincu sa résistance.

CASSANDRE.

Quelle fureur nouvelle me transporte ? Oh ! m’entraînez-vous dans mon délire, roches sacrées du Parnasse ? Laisse-moi, dieu des oracles, je ne t’appartiens plus. Éteins ces flammes qui s’allument dans mon sein : à quoi bon ces transports furieux, à quoi bon cet enthousiasme qui m’égare ? Troie est tombée : que fais-je encore, prophétesse qu’on ne veut pas croire ? où suis-je ? le jour a fui pour moi, une nuit profonde se répand sur mes yeux, et les ténèbres me dérobent la face du ciel. Mais que vois-je ? le jour est éclairé par un double soleil, et deux villes d’Argos se dressent devant moi. Voici la forêt de l’Ida ; le juge fatal est assis entre les trois puissantes déesses. Rois, je vous en avertis, craignez le fruit de l’inceste ; cet enfant nourri dans les bois détruira vos palais. Quelle est cette femme égarée qui brandit une arme entre ses mains ? sa parure est celle des femmes de Sparte, la hache des Amazones est à son bras. Quel est ce héros qu’elle va frapper ? Un autre spectacle s’offre à mes regards : le lion superbe, le vainqueur des plus fiers animaux, tombe lui-même sous la dent d’un ennemi sans gloire ; une lionne hardie le déchire de ses morsures.

Mânes de mes parens, pourquoi m’appelez-vous, moi restée la dernière de toute ma famille ? Je te suis, ô mon père ! à qui Troie tout entière a servi de tombeau. Je te suis, Hector, l’appui des Phrygiens et la terreur des Grecs ; je ne retrouve point l’éclat de ta gloire passée,