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NOTES D’UNE FRONDEUSE

étage, qui renouvelle identiquement la disposition du rez-de-chaussée. À droite, au-dessus du cabinet du général, était la chambre de madame de Bonnemains, drapée de peluche sombre comme le fut, plus tard, celle de la rue Montoyer. Elle est sérieuse, et un seul détail y frappe. Au plafond, sur l’or du cartouche central, une branche de laurier, vivace et robuste, élargit ses feuilles avec, en exergue, cette devise : Semper resurgo.

Au dessus du grand salon, une chambre : celle du général, disait-on ; mais, à la vérité, celle des meilleurs amis. Car le général s’était seulement réservé, de l’autre côté du couloir, un recoin où il avait mis son « bazar » de troupier, un bric-à-brac de l’ancien temps : pistolets, sabres, cartes, théories, etc., qu’il ne permettait à personne de toucher.

Dans la chambre « officielle », rien de remarquable ; sinon, au plafond toujours, un immense aigle de majolique, les ailes éployées, d’un beau mouvement. Et, sur la table, un petit masque de bronze — une jeune femme morte, aux paupières closes, au nez aminci — qui lui servait de presse-papier… sans qu’il se doutât, le pauvre amant, que l’amante adorée serait telle quelques mois plus tard ; aurait les traits aussi rigides, le front aussi glacé sous sa main !

La chambre d’après (tendue de cretonne Delft, à dessins indigos sur fond blanc et d’une gaîté toute particulière) était occupée par la maman, — la maman si âgée qu’on choyait, qu’on gâtait ; et qui est aujourd’hui la plus heureuse de tous… puisqu’elle ne sait rien !

Ensuite, vient une pièce tapissée de bleu où logeait mademoiselle Griffith, l’ange gardien, alors comme aujourd’hui, de la vieille mère ; l’amie fidèle de l’exilé ; celle qui pansait l’âme et soignait le mal de la douce pécheresse que cette fille impeccable appelait ma sœur.