Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/233

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C’en était touchant !

— Ah ! bien, vous l’avez vraiment volée, votre réputation ! m’écriai-je à l’étourdie, incapable de contenir plus longtemps ce cri du cœur.

Il me regarda comme la brebis regarde le couteau, et bêla plus qu’il ne répondit :

— N’est-ce pas ?

Pauvre Vergoin ! Et il se mit en demeure de se justifier, avec une mimique de Joseph repoussant madame Putiphar ; expliquant que jamais les femmes n’avaient fait attention à lui (jamais, madame !) qu’il avait même eu à se plaindre de la sienne dont il était séparé ; que chaque fois qu’il avait eu une petite bonne amie, elle l’avait gardé pour le « sérieux », mais qu’elle l’avait vite complété pour l’agrément.

Je vivrais cent ans, que je me rappellerais son ton plaintif à narrer ces choses, la sincérité indéniable qui émanait du récit ; et, quand on arriva à mademoiselle de Sombreuil, la façon dont il soupira : « Un tel était mon ami ; il en avait assez… il me l’a repassée ! »

C’était d’une gaieté irrésistible ; nous en pleurions ! Alors, pour donner du poids à ses paroles, de l’autorité à ses déclarations, il se pencha confidentiellement par-dessus la table ; et, très grave, sentant toute l’importance du secret d’État qu’il fait à notre discrétion, un soupçon de fatuité sous la moustache :

— Des difficultés diplomatiques pouvaient surgir. Née aux rives du Bosphore, elle est la fille du Sultan…

Il ne put continuer, l’un des nôtres, vieux Parisien, se trouvant littéralement mal de joie. Tandis qu’on lui tapait dans le dos, j’interrogeais Vergoin sur cette question d’argent, dont on fit si grand bruit. Il avait