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NOTES D’UNE FRONDEUSE

hommes suffisaient — et ils étaient là ! Feuillâtre, friand de la lame, maigre comme un sarment, droit comme un fleuret ; avec des yeux clairs, une chevelure poudrée, avant l’âge, de houzard-Chamboran. Harry de l’Arno, immense, solide, homme de sport et d’élevage, gentleman-farmer ; montrant, en un rire d’aise, à l’idée d’aventures, ses dents acérées de jeune loup, dans sa face brune de montagnard pyrénéen. Et, pour compléter le trio, ce cerveau brûlé de Lafougère, en quête toujours d’estocades et de horions.

C’était à l’époque des longs jours. Chaque soir, vers six heures, les débats terminés, Ferry qui depuis la séance de Lang-Son, ne sortait plus par le quai d’Orsay — où sans cesse des groupes stationnaient, durant cette crise présidentielle — Ferry quittait le Palais-Bourbon ; et, dans la nuit close, s’en allait, solitairement, par la rue de Lille ; traversait en biais l’Esplanade, pour gagner le pont des Invalides, puis l’avenue d’Iéna où il habitait.

Il s’agissait de l’aborder au coin de l’Esplanade où un coupé attelé de deux chevaux de choix, conduits par leur propriétaire, Harry, déguisé en cocher, aurait attendu. Quelqu’un, que le député des Vosges connaissait déjà, l’avisait au passage que, dans la voiture, une troisième personne avait à lui donner un renseignement urgent. Sans méfiance, et résolu comme il l’était, Ferry approchait…

Aussitôt, il était « cueilli », bâillonné en douceur, garrotté au besoin ; et le coupé filait de toute la vitesse de ses pur-sang le long des quais, vers la villégiature hivernale ( mais ouatée) où une réception convenable l’attendait. Là, dans une atmosphère tiède, bien logé, bien soigné, traité avec une suprême courtoisie, le candidat à la Présidence aurait passé trois