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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Seulement, depuis, pas mal de choses sont venues m’ouvrir les yeux ; faire, du bon garçon que j’étais, un mécontent enragé. D’abord, lorsque j’ai su que mon argent, au lieu d’être employé là-bas en travaux (mal compris, peut-être, mal dirigés, mais enfin en travaux effectués), avait été drainé au passage ; avait servi à augmenter la richesse d’autres, du fruit de mes privations et de mon labeur — vous étonnerais-je, Monsieur, en avouant que je n’ai pas trouvé cela drôle ?

Après, nouvelle découverte ; plus vexante encore, car elle atteignait le citoyen, en même temps que le particulier. Des députés, des personnages que, comme électeur, j’avais soutenus de mon vote ; qu’ensuite, comme contribuable, j’avais payés de mes deniers, s’étaient vendus comme bestiaux en foire ; nous avaient vendus par-dessus le marché !

Je n’étais qu’indigné. Mais M. Rouvier parle, mais M. Floquet parle… et la fureur m’empoigne. Car jamais, je crois, depuis que le monde est monde, la petite épargne ne fut non seulement si volée, mais si atrocement bafouée !

Réfléchissez, plutôt.

Au début, Monsieur, j’ai rendu hommage à l’impartialité de vos intentions, garante de celle qui présidera à vos actes. Le juge, disais-je — et je pense que nous serons tous d’accord sur ce point — le juge doit être sans tendances, sans parti pris, sans prédilections ! C’est presque lui demander de ne plus être un homme ; seulement, où irait-on, je vous le demande, si l’on admettait la justice faillible, non pas seulement dans ses méprises, mais dans ses volontés ? Tout droit à l’anarchie