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NOTES D’UNE FRONDEUSE

la Société ne permet d’aucune façon, sur les terrains qu’il lui a concédés, le fonctionnement d’un marché.

La pauvre femme ainsi trompée, ainsi grugée, ainsi ruinée, supplie au moins la Compagnie — qui garde les bâtiments, remarquez, et s’est fait payer treize mois de location ! — de lui rendre les 195 piastres qu’elle a déboursées, et 41 piastres de bois soldé en plus de ce qu’il lui avait été facturé. Avec ses précédentes, et aussi légitimes réclamations, cela fait un total de 1,175 piastres… une bagatelle pour la richissime entreprise ; le salut pour cette infortunée, à bout d’argent, de santé, d’efforts !

La Compagnie refuse de payer !

Alors, la malechanceuse revient ici. Elle tient un petit bar, en même temps bureau de tabac, à l’Exposition de 1889 ; y gagne quelques sous, les confie à deux notables commerçants : l’un, à Paris, qui prend la fuite ; l’autre à Montreuil, qui nie le dépôt.

— Et le reçu ?

— Dans l’armée, on a confiance !… répond la mère Calvet avec un geste d’ingénu désespoir.

Et comme le dernier était propriétaire de l’immeuble où nichait l’établissement de l’ex-cantinière, il l’a, par surcroît, expulsée ; il a fait vendre le matériel, fait jeter les matelas dans la cour, si bien qu’ils ont été volés dans la nuit.

— Et maintenant ?

Maintenant, Henriette Calvet, âgée, malade, avec « sa » fille (l’autre est en Amérique, mariée), sont à la rue ou peu s’en faut. Elles n’ont plus de meubles,