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NOTES D’UNE FRONDEUSE

de Paris ; et la presse discutait gravement le lieu de refuge de l’ « agitateur ». Les uns tenaient pour Bruxelles, d’autres pour Londres ; quelques-uns allaient jusqu’à Barcelone.

Lui, à l’abri, lisant cela, se faisait une pinte de belle humeur ; car il était gai et vivant autant que brave, cet avorton endolori ! Les plaies de son cou s’étaient rouvertes, sous le poing des agents ; et je me le rappelle m’embrassant les mains avec fanatisme, après que je l’avais pansé — parce qu’une belle flamme de simplicité reconnaissante brûlait en ce paria, objet, pour beaucoup, de crainte ou de répulsion !

Après deux semaines (les seuls quinze jours heureux de sa vie, répéta-t-il souvent), tout étant calmé, il s’en alla. Et chaque année, depuis (voilà six ans passés), Soudey déposait à ma porte, pour l’anniversaire, deux sous de violettes ou de giroflées… le prix de son repas du soir !

Que la terre lui soit légère ! Où qu’il repose, cet enfant martyr, cet ouvrier sans ouvrage, cet incurable, ce déshérité, j’irai lui rendre ses fleurs !