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NOTES D’UNE FRONDEUSE

des millions de souffles et d’haleines ; une meute inconnue et menaçante, restée en arrêt à la porte ; et qui, d’un élan, aurait bazardé la boutique, d’un coup de gueule aurait cassé les reins à ces hyènes et à ces chacals !

Aussi, ils ont aboyé… ils n’ont pas mordu !

Aujourd’hui, ils espèrent que quelqu’un mordra pour eux, et qu’ils n’auront plus qu’à faire curée.

Et un de leurs journaux demande carrément ce quelqu’un-là — comme, à la quatrième page, on demande une cuisinière ou une bonne d’enfants.

Pauvre « quelqu’un » !

Je le vois d’ici, avec son air de simple, son regard crédule, son geste résigné, la fièvre qui fera trembler sa main. Que sera-t-il ? Ouvrier sans travail, boutiquier sans chalands, médecin sans clients, avocat sans causes, je n’en sais rien…

Par exemple, je suis sûre qu’il sera un désemparé de la vie, un être pas heureux sur lequel une guigne tenace et imméritée se sera, dès le berceau, abattue. Peut-être un habitué des réunions publiques, sincère et obscur, comme le Marc-Fane de Rosny.

Pauvre « quelqu’un » !

Dans un jour de désespérance, en cherchant parmi les offres d’emploi, il lui sera tombé sous les yeux, à la gargote ou au café, une phrase dont le fond, sinon la forme, était ainsi conçu :

ON DEMANDE un assassin de bonne volonté.

Et comme il n’a pas d’ouvrage, il se présentera — il se présentera devant le général avec un eustache de