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NOTES D’UNE FRONDEUSE

langer, monte lentement les gradins de gauche, et s’assied non loin du sommet,

Avec lui, ils sont quatre, tout juste ; si bien qu’ils donnent l’illusion de ces Cinq si bafoués, si injuriés, et qui mirent si peu de temps à devenir les maîtres de la France,

Je crois, dans les Parlements, au triomphe des infimes minorités.

Il y croit aussi, celui-là, et c’est ce qui lui prête cet aspect d’insolence tranquille, de sérénité suprême, qui affole ses collègues contre lui. Rien que dans la façon dont il entre à l’Assemblée, dont il s’assied, dont il abaisse son énigmatique regard, il y a je ne sais quel fatalisme abstrait qui est pour ses adversaires le plus sanglant des outrages.

I le sait ; et de là, sous sa moustache blonde, un pli de goguenard défi.

La tête est curieuse, autrement qu’on ne le supposerait d’après les portraits qui encombrent les vitrines.

Moins bien — et mieux

Des cheveux châtains, très drus et coupés ras ; le teint hâlé ; une barbe à reflets de cuivre ; des sourcils épais sous lesquels l’œil est comme embusqué ; le front têtu et audacieux ; la mâchoire tenace… cela semble constituer, au premier abord, une belle silhouette de haut aventurier, un profil de trabucaire partant à la conquête d’un empire, comme on en vit au temps de la Renaissance française.

Mais il y a l’âme de ce visage : une physionomie si profondément déconcertante qu’elle échappe à l’observateur.

Il y a le regard et le rire — un rire de petit enfant que la vie amuse, et un regard noir à travers des yeux bleus…