avec chaleur de la véritable envie qu’elle avait eue de lui
prêter les mille pistoles ; une autre fois, c’était une jolie épigramme qui d’elle-même venait au bout de la plume : le trait
malin partait ; et Bussy ne savait plus si cette petite guerre
aurait jamais une fin. Il s’efforçait de prendre ces attaques en
bonne part, et les appelait des saupiquets en amitié ; puis il finissait par être blessé, et demandait combien devaient durer ces
recommencements. Il ne lui était cependant pas possible de se
fâcher tout à fait. Madame de Sévigné ne lui faisait pas une
blessure sans la guérir aussitôt ; et il était forcé de reconnaître
que, « si elle faisait les maux, elle faisait les médecines. »
Entre les cruautés qui le harcelaient et les douceurs qui l’amadouaient, il ne savait plus où il en était ; il perdait contenance. Tantôt il prenait un ton grave et pitoyable, et invoquait en sa faveur les droits sacrés de l’infortune ; tantôt,
devenant comique, il proposait aux railleries de sa cousine
d’autres exercices et un autre but : « Ne craignez pas, lui
écrivait-il, que vos lettres soient moins vives, quand vous ne
serez pas aigre ; mais enfin, si vous me trouviez un peu fade,
nous trouverons assez de gens qui méritent des coups de patte,
sans nous en donner l’un à l’autre[1]. » Ce redoutable railleur
avait trouvé son maître. Il se sentait battu, dompté et charmé.
Quoique madame de Sévigné le négligeât bien souvent, et qu’il
eût quelque raison de dire : « Vous ne m’entretenez que quand
vous n’avez plus personne à qui parler, » il la reçut avec une
joie extrême, lorsqu’au commencement de septembre 1677
elle lui fit la grâce de passer deux ou trois jours dans son
château de Chaseu. Dans quelques-unes des lettres qu’il lui
a écrites à la seconde époque de sa vie, c’est-à-dire depuis ses
disgrâces, il y a, chose étrange chez un tel homme, un accent
presque touchant, et où l’on sent bien, malgré les aimables
paroles que lui adresse quelquefois madame de Sévigné, que
des deux c’est lui qui aime le plus. « Je voudrois, lui écrit-il,
que vous vissiez avec quelle joie je reçois vos lettres. Tout ce
que je vous dirai de plus tendre ne vous persuaderoit pas si
bien que je vous aime, ni toutes les louanges que je vous donnerai ne vous feront tant voir combien je vous estime[2]. » Dans
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NOTICE BIOGRAPHIQUE