dans les états de Provence, où il avait su se faire aimer. En
même temps, il s’était rendu utile au pouvoir royal ; on savait
qu’il dirigeait à son gré l’assemblée. Colbert le soutenait de toute
sa puissance. Il était d’ailleurs aussi vénérable par ses vertus
qu’habile à gagner les cœurs, d’un esprit juste et fin, et consommé dans les affaires[1]. Le comte de Grignan, dès qu’il prit
possession de son autorité, fut extrêmement offusqué par l’importance et le crédit de l’évêque. Avant même l’arrivée de
madame de Grignan en Provence, madame de Sévigné, qui
avait déjà su gagner la confiance de son gendre, commença à
lui donner d’utiles conseils. Avec son esprit sage et conciliant,
elle lui écrivit pour le calmer et pour le mettre en garde contre
les manières des provinces, « où l’on prend plaisir à nourrir les
divisions[2]. » On est vraiment étonné de voir une femme qui
n’aurait dû, ce semble, connaître du monde que les plaisirs
frivoles ou les agréables récréations de l’esprit, une femme trop
simple et trop aimable pour afficher aucune prétention messéante
de régenter des hommes publics, tracer à un gouverneur de province, à l’aide des seules lumières de son bon sens et des inspirations de son amour maternel, des règles parfaites de conduite
avec les personnes, lui dire si bien par quels ménagements on
les gagne, comment on les engage dans de bons sentiments, en
ne leur en supposant pas trop aisément de contraires, et avec
une justesse de coup d’œil que les politiques de profession
l’ont pas toujours, reconnaître et signaler les écueils de la
défiance et des préventions. Jamais elle ne donna lieu à M. de
Grignan de trouver qu’elle s’ingérât indiscrètement dans ses
affaires ; mais il apprécia ses bons avis, donnés sans pédanterie,
et, comme elle disait, sans faire l’entendue. Ses intérêts furent
avec un zèle infatigable défendus par elle à Paris, particulièrement auprès de M. de Pomponne, cet ancien et fidèle
ami, devenu secrétaire d’État en 1671. Aussi M. de Grignan
la nommait-il son petit ministres,[3] et se reconnaissait-il si redevable à ses conseils et à ses actives démarches, qu’elle était
Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/154
Apparence
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
124
NOTICE BIOGRAPHIQUE