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NOTICE BIOGRAPHIQUE


ver si loin, et si près d’une autre chose[1] ! » Il lui semblait que son cœur n’était pas assez touché, mais la conviction de son esprit était entière[2].

Nous n’avons point parlé jusqu’ici du trait le plus saillant des sentiments religieux de madame de Sévigné, ayant voulu le mettre à part dans tout son relief. C’était, on le contesterait vainement, un véritable fatalisme. C’est une grande et juste idée que celle du gouvernement de la Providence et de la faiblesse de l’homme devant cette toute-puissance. Mais dans cette grande machine du monde que madame de Sévigné voyait toujours conduite par la main de la Providence « avec mille ressorts et mille cordes, » plus de liberté qu’elle ne le supposait doit avoir été laissée au jeu des rouages. Le grand moteur n’est pas gêné par cette action des causes secondes auxquelles il a permis de se mouvoir dans les limites de son plan. La foi dans la Providence, cette foi si raisonnable, si sainte et si consolante, quand elle n’est pas poussée à un excès qui anéantirait chez l’homme toute prévoyance et toute activité, était presque devenue une superstition dans l’esprit de madame de Sévigné : « C’est là ma dévotion, disait-elle dans une lettre à M. de Guitaut, c’est là mon scapulaire, c’est là mon rosaire, c’est là mon esclavage de la Vierge ; et si j’étois digne de croire que j’ai une voie toute marquée, je dirois que c’est la mienne. » De là ce canon qui tua Turenne, chargé de toute éternité, et ces balles qui ont leurs commissions. Jamais Turc n’a dit avec une foi plus résignée : C’était écrit. Un jeune chanoine meurt faute d’avoir pris l’émétique qui l’aurait sauvé : « Il n’avoit garde de le prendre ; il faut que les Écritures soient accomplies. » Elle dit également, au sujet de Retz, que cc l’heure de sa mort étoit marquée, et que cela ne se dérange point. » Rien jusqu’ici peut-être ne doit paraître contraire à la vraie doctrine chrétienne ; mais il y a certainement excès quand madame de Sévigné ne veut pas qu’on fuie le mauvais air, parce que « nous le trouvons quand il plût à Dieu, et jamais plus tôt. » Elle était d’avis que rien ne donnait à l’âme plus de tranquillité qu’une telle pensée : « Qui m’ôteroit la vue de la Providence, m’ôteroit mon unique

  1. Lettre à madame de Grignan, 26 octobre 1689.
  2. Lettre à M. Plessis, 20 août 1690.