elle y fut, dit-elle, régalée en reine par M. d’Harouys, parti
avant elle, et par M. de Lavardin. Le 24, elle était à la Seilleraye[1], dans le château de M. d’Harouys. De là, elle mandait à
sa fille ce qu’elle entendait raconter : « Nos pauvres Bas-Bretons
s’attroupent quarante, cinquante par les champs ; et dès qu’ils
voient les soldats, ils se jettent à genoux et disent mea culpa ;
c’est le seul mot de français qu’ils sachent... On ne laisse pas
de pendre ces pauvres Bas-Bretons ; ils demandent à boire et
du tabac, et qu’on les dépêche[2]. » Enfin, elle revit ses chers
bois des Rochers, qui lui parurent plus beaux que jamais. Dans
cette paisible solitude, où elle aimait à promener ses rêveries,
on pourrait l’accuser d’une indifférence beaucoup trop résignée
aux malheurs qui désolaient la Bretagne autour d’elle, lorsqu’elle écrivait à Bussy : « Je trouve tout fort bon, pourvu que
les quatre mille hommes qui sont à Rennes, sous MM. de Forbin et de Vins, ne m’empêchent point de me promener dans
mes bois, qui sont d’une hauteur et d’une beauté merveilleuses[3]. » C’est ainsi qu’un poëte de nos jours a dit :
- Pourvu qu’on dorme encore au milieu du tapage,
- C’est tout ce qu’il me faut.
Mais, chez madame de Sévigné, cette apparence d’insensibilité tromperait. « Je trouve tout fort bon » était une manière de parler ; et dans ce calme où elle se retranchait, il y avait moins d’apathie que de dégoût. Car, le même jour, elle écrivait à sa fille que M. de Chaulnes, qui était à Rennes avec ses quatre mille hommes, avait ruiné cette ville, et du même coup, la province entière, par la translation du parlement à Vannes, et elle ajoutait : « Il s’en faut beaucoup que j’aie peur de ces troupes ; mais je prends part à la tristesse et à la désolation de toute la province. On ne croit pas que nous ayons d’états, et si on les tient, ce sera encore pour racheter les édits que nous rachetâmes deux millions cinq cent mille livres il y a deux ans,