malheur de le faire, tantôt à droite, tantôt à gauche. Mais, de
bonne foi, si nous ne voulons pas laisser ces natures mobiles
et ondoyantes nous échapper, ne faut-il pas, quand elles nous
déroutent, abandonner avec elles l’inflexible ligne droite ? Chez
madame de Sévigné aussi, il y a, pour lui emprunter ses images, bien de la sylphide et de la feuille. Son cœur est toujours
bon, mais son esprit est léger. Ses sentiments sont généreux,
hardis, fiers, ennemis de toute injustice ; nulle servilité, nulle
bassesse ; elle a été nourrie à l’école de la Fronde et de Port-Royal ; mais le sérieux ne tient pas longtemps ; l’imagination est
vive et l’humeur folâtre ; tout finit par se tourner en badinage
sous cette plume qu’elle-même a nommée libertine. Veut-on un
exemple frappant de cette légèreté ? Le sentiment le plus profond de madame de Sévigné a été sa tendresse pour sa fille. Il
n’est point raisonnable d’y soupçonner aucune affectation. N’est-il pas étrange cependant de voir, dès les premières lettres
écrites après la douloureuse séparation de 1671, commencer
les lanterneries ? L’affliction est sincère, le cœur est vraiment déchiré ; mais le sourire est bien près des larmes. Nous
avons souvent beaucoup de peine, nous autres hommes, à
comprendre les femmes, ces charmants enfants ; nous les voulons juger avec notre roideur ; mais nous nous apercevons
bientôt que nous avons devant nous des énigmes qui se moquent de nous. Toutes les femmes, sans doute, ne sont pas
aussi femmes que madame de Sévigné ; mais quand elles le
sont à ce point, soyons bien sur nos gardes pour ne pas les
expliquer plus qu’il ne faut.
Prenons donc madame de Sévigné telle qu’elle est : imagination vive et légère que le badinage emporte, mais cœur honnête et bon. Elle parle quelquefois des penderies d’un ton trop leste et trop dégagé ; non qu’elle les approuve, ou même qu’elle en entende parler sans éprouver de la pitié ; mais ce maudit enjouement vient souvent mal à propos. Cependant, quand le ton sérieux reparaît, il n’y a plus qu’à applaudir à la sagesse, à la justice, à l’élévation des sentiments. Elle écrit à sa fille : « Si vous voyiez l’horreur, la détestation, la haine qu’on a ici pour le gouverneur, vous sentiriez bien plus que vous ne faites la douceur d’être aimés et honorés partout... Je ne crois pas que M. de Grignan voulût de cette place à de