Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
301
SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


parler du plaisir qu’elle aurait à voir sa fille, si celle-ci venait, et madame de Grignan du plaisir avec lequel elle irait voir sa mère, si sa mère la demandait ; mais qu’il n’en fut rien de plus. Un si cruel témoignage ne doit pas être accueilli légèrement. Non-seulement il est d’une date trop éloignée des faits, mais celui qui l’a porté est fort suspect. On voit par sa lettre que le souvenir du siège d’Orange et les plaisanteries sur les Madames de Montélimart l’avaient fort irrité et contre madame de Grignan et contre madame de Sévigné, qui, selon lui, n’aimait pas véritablement sa fille, et dont les six volumes de lettres, publiés par le chevalier de Perrin, ne lui paraissaient que des bouquins.

N’accusons, donc personne avec témérité, quand les faits nous sont si mal connus ; ne déplorons que la fatalité des choses. Qu’il dut être douloureux pour une telle mère de n’avoir près d’elle, pour consoler ses derniers regards, aucun de ses enfants ! Il nous semble qu’elle dut penser plus d’une fois : « Si j’étais morte aux Rochers, mon fils serait là. » Mais sa mort, si près et si loin de sa fille, était peut-être plus d’accord avec sa vie.

Elle avait souvent pensé à la mort et toujours avec crainte. « Ah ! ne parlons pas de cela, disait-elle, j’y pense pourtant, et il le faut. » Une des plus belles pages qu’elle ait écrites atteste avec force cette terreur que l’idée de la mort lui inspirait, avant même les années de la vieillesse : « Je suis embarquée dans la vie sans mon consentement ; il faut que j’en sorte, cela m’assomme ; et comment en sortirai-je ? Par où ? Par quelle porte ? Quand sera-ce ? En quelle disposition ?... Comment serai-je avec Dieu ?... Je m’abîme dans ces pensées, et je trouve la mort si terrible, que je hais plus la vie parce qu’elle m’y mène, que par les épines dont elle est semée[1]. » Mais les imaginations vives se calment quelquefois d’une manière surprenante, quand elles sont en face de ce qu’elles ont de loin le plus redouté, et, malgré leur sensibilité, les cœurs dont le dévouement et l’affection ont été toute la vie, échappent

  1. Lettre à madame de Grignan, 16 mars 1672.