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* 41. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.[1]

Aux Rochers, ce 12e septembre.
Je vous suis bien obligée de votre agréable et ponctuelle réponse. Il me semble qu’à un paresseux comme vous cela veut dire quelque chose ; mais moi que voulez-vous que je vous réponde sur la question que vous me faites, touchant les madrigaux ? Ne savez-vous pas bien que je suis une écolière qui n’entends rien à la beauté des vers italiens ? Ne pouvant donc parler que de la pensée de l’un et de l’autre, je vous dirai que celle du Guarini, quoique fort semblable à celle du Tasse, me plaît davantage, sans que je puisse quasi dire pourquoi. Pour celui de M.  du Raincy[2], que j’entends un peu mieux, je le trouve admirable, et ne crois pas qu’on en puisse
  1. Lettre 41 (revue sur l’autographe). — i. On trouvera au tome II (p. 197-208) de la Société française au XVIIe siècle, tout un commentaire, aussi ingénieux qu’intéressant, de cette lettre à Ménage.
  2. Jacques Bordier du Raincy (Mme de Sévigné écrit du Rinssy) était le dernier fils de Bordier, avocat, qui fit fortune dans les affaires, devint intendant des finances, bâtit le château du Raincy, et obtint pour son fils cadet le titre de ce domaine. Ce M.  du Raincy venait de faire un madrigal qui avait eu un assez grand succès de société. Ménage en fut jaloux. Il trouva dans le Guarini un sonnet tout semblable à celui de Raincy et en le faisant connaître diminua fort le succès du financier. Non content de cela, il traduisit lui-même le madrigal français en italien, et au lieu de donner ses vers pour une traduction, il les mit sous le nom du Tasse et accusa Raincy de plagiat. Presque tous les beaux esprits du temps s’y trompèrent, et décidèrent que le madrigal du Tasse était fort préférable à celui du Guarini et au madrigal français. On voit par cette lettre que Mme  de Sévigné ne donna pas dans le piège. Mme  de Rambouillet n’avait pas non plus partagé l’engouement général. Quant à Mlle  de Scudéry, elle se douta de la tricherie et força Ménage d’en faire l’aveu. — M. Cousin, dans l’ouvrage que nous avons cité, et d’où nous tirons ces détails, donne le madrigal de Raincy, à la page 198 du tome II. La traduction de Ménage est dans ses Mescolanze, Paris, 1678, p. 57.