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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


rechercher quelque riche héritière, lui proposant pour exemple ceux qui, pour leur bonne mine, avaient fait de grands mariages. Sans prendre à la lettre tout ce que Bussy dit à son avantage, il avait quelques qualités séduisantes, qu’aucune modestie ne l’empêchait de faire valoir. Il était hardi, vif, très spirituel, brave aussi : car son humeur gasconne, ses vanteries, et la réputation qu’il se fit plus tard d’être le meilleur officier de l’armée pour les chansons, ne sont pas, après tout, des raisons de douter de cette bravoure[1]. Pour ce qui est de son extérieur, il nous le fait lui-même connaître dans un portrait ou il n’a point, comme dans celui de madame de Sévigné, mêlé aux brillantes couleurs des ombres fâcheuses : « Roger de Rabutin, dit-il, avait les yeux grands et doux, la bouche bien faite, le nez grand, tirant sur l’aquilin, le front avancé, le visage ouvert et la physionomie heureuse, les cheveux blonds, déliés et clairs[2]. » Si, avec tous ces avantages, Bussy pouvait se promettre des succès auprès des jeunes femmes, les personnes d’une raison plus froide et d’une plus grande expérience devaient aisément reconnaître en lui un caractère hautain, vaniteux, égoïste, un esprit railleur très propre à lui nuire dans le monde, un penchant au libertinage qui déjà l’avait jeté dans quelques désordres. Avec toute la finesse de l’esprit n’ayant jamais eu la délicatesse de l’âme, une certaine grossièreté de débauche et de soldat se mêla toujours à son élégant atticisme. Marie de Chantal, malgré son extrême vivacité et la séduction que pouvait exercer sur elle un esprit pour lequel elle eut évidemment toute sa vie beaucoup de goût, et qui n’était pas sans parenté avec le sien, fut-elle assez clairvoyante pour discerner les mauvais côtés du jeune mestre de camp ? L’abbé de Livry, avec son bon jugement, se soucia-t-il peu de remettre en de telles mains l’avenir de sa chère pupille ? Quoi qu’il en soit, Bussy fut en vain pressé par son père

  1. Saint-Simon l’a peint en quelques traits, qui ne sont pas flattés : « Bussy-Rabutin, si connu par son Histoire amoureuse des Gaules, et par la profonde disgrâce qu’elle lui attira, et encore plus par la vanité de son esprit et la bassesse de son cœur, quoique très brave à la guerre. » (Mémoires, tome I, p. 320.)
  2. Histoire amoureuse des Gaules, tome II des Mémoires de Bussy, édition Lalanne, p. 421.