Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 11.djvu/20

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xiv LETTRES INÉDITES

noître le prix de tout cela. Mme de Sévigné me fait regretter de n’avoir point de mère pour avoir le plaisir d’en être aimée; Mme de Sévigné me fait encore plus regretter de n’être pas mère pour avoir le plaisir encore plus grand d’aimer mes enfants. Que les liens, que les attachements de la nature sont doux! quelle béatitude de s’y livrer quelle paix les accompagne I Ceux qui en sont privés sont les réprouvés sans doute. Le sentiment seul est la vie de l’âme et pourtant tout l’effort de ma raison, tout le fruit de ma philosophie (car chacun a la sienne) ne tend journellement qu’à dessécher mon cœur. Aussi ma petite-fille me reprocbe-t-elle tous les jours de n’aimer rien. Ah! si j’étois insensible, travaillerois-je autant à le devenir? Mais parlons d’autres choses.

Rassurez-vous, mon cher petit-fils. J’espère que votre ménage n’ira point en décadence, on me l’a promis trop positivement pour n’y point compter, et je me flatte que vous n’aurez jamais à regretter d’avoir pré féré mon alliance à la fille d’un nabab, à un muid de diamants et à un collier de perles gros comme des œufs de dindons.

Pardon! je vous ai fait une infidélité j’ai tant ri de ce que le roi é Angleterre était le plus vertueux prince du monde parce qu’il avoit acheté deux ou trois fois toutes les vertus des deux c/tambres, que je n’ai pu m’empêcher de le dire à M. de Choiseul, qui a ri aussi, et qui prétend que vous devez mieux le savoir que personne, parce que c’est Monsieur votre père qui a appris ce secret aux rois d’Angleterre. Il me tarde d’avoir des nouvelles du succès de l’opération que l’on a faite au duc de Bedfort. Si vous le rencontrez, dites-lui, je vous prie, combien j’y ai pris part.

Je ne veux point vous parler de mon voyage à Londres, parce que j’en écris à Milady Charlotte, et que je n’aime pas les rabâchages mais j’approuve fort assurément les arrangements du retour.

J’ai lu à l’abbé l’article de votre lettre qui le regarde; je pourrois vous dire qu’il a été fort touché de votre souvenir, mais je ne veux pas vous parler de lui, parce qu’il est assez grand pour parler tout seul.