SUR L’JRT POÉTIQUE D’HORACE. 3o9
« communs », et deviennent publics, c’est-à-dire que la propriété en
est acquise à celui qui s’en est rendu le maître, de manière que le
public s’en peut servir.
Venons maintenant à proprie dicere. On prétend que ce terme si-
gnifie traiter d’une manière nouvelle, d’une manière qui soit propre
à celui qui fait parler, et non pas à celui qui parle; au poëte, et
non pas au personnage qu’il introduit. Etvoilà ce qui confirme dans
l’erreur où l’on est sur tout ce passage car on sent bien que cette
idée ne convient pas à des sujets inventés. En effet, Horace seroit
ridicule de dire qu’il est difficile à. un poëte de traiter un nouveau
sujet d’une manière particulière, qui soit à lui car un nouveau su-
jet ne peut être traité que d’une manière nouvelle et particulière,
autrement il ne seroit pins nouveau. Ainsi on veut opiniâtrement
que communia signifie « des sujets connus. » Cette faute sur proprie
dicere est plus grande et moins pardonnable que l’autre car dans
toute la langue latine on ne trouvera pas un seul exemple où proprie
dicere ait ce sens-là. Quand César dit d’Antoine dans le deuxième
livre de VOrateur de Cicéron Quot historiées nomïnamt quant scienter,
quant proprie de unoquoque dixit U a-t-il voulu faire entendre qu’An-
toine avoit parlé d’une manière particulière, qui n’étoit propre qu’à
lui? Ne voit-on pas au contraire qu’il a voulu dire qu’il a parlé
convenablement sur chaque sujet, et d’une manière qui en faisoit
connoitre la nature et le caractère ? Les Latins ont appelé proprium,
xûptov et »iov comme les Grecs, ce qui est particulier à un sujet, ce
qui le distingue d’un autre et ce qui le fait counoitre Proprium est
quod peculiare cujusque est. On en croira peut-être Quintilien qui dit
Proprium autem est quod soli accidit, ut homini sermo, rlsus, aut qfiod
utique accidit sed non soli, ut igni calefacere. Et sunt ejusdem rei plura
propria, ut ipsius ignis calere, /ucere*, etc. Et plus bas Tjrannîcidjx
proprium est tyramiam occidcre°
Dans Horace donc proprie dicere, « parler proprement, » c’est for-
mer des caractères d’une manière convenable, qui leur donne leurs
véritables traits, leurs traits reconnaissables, qui peuvent les faire
distinguer en un mot, c’est faire que les personnages qu’on intro-
t. De VOrateur, livre Il, chapitre xiv. « Que d’historiens il vient du nous
nommer! avec quel savoir, quelle justesse il a parlé de chacun »
2. De l’Institution de l’Orateur, livre V, chapitre x, 5S. « Or propre, c’est ce
qui est l’attribut d’un seul sujet, comme est pour l’homme la parole, le rire;
ou ce qui est l’attribut d’un sujet, mais sans l’être de lui seul, comme est pour
le feu la propriété d’échauffer. Et une mémo chose a plusieurs propriétés,
comme encore le feu d’être chaud, lumineux, etc. » Dans le texte de Quin-
tilien, îucere précède calere.
3. Ibidem, 5g. et Le propre du tyrannicide est de tuer un tyran. »