Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 11.djvu/415

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SUR VAUT POÉTIQUE D’HORACE. 3a9

très-peu de poëtes qui ne le puissent faire; ceux qui ne le font pas ne méritent pas ce nom. Je ne dirai pas la même chose, si le poëte donne à ce guerrier ,1e nom d’Alexandre. Non-seulement il faut qu’il 1 le soutienne aussi bien que le personnage inventé, mais il faut de plus qu’il remplisse l’idée que les spectateurs ont d’Alexandre, qu’il le fasse parler d’une manière digne d’Alexandre, et comme Alexandre auroit du parler lui-même. C’est ce qui est très-difficile, et à quoi Horace exhorte pourtant tous les poëtes en la personne des Pisons.

M. D** dit cc Rien n’est plus aisé, car on a un guide. » (Notre arbitre remarquera, s’il lui plaît, que c’est mon adversaire qui trouve qu’il y a très-peu de difficulté à traiter des sujets connus’.) Je prie M. D** de me dire quel est ce guide? En a-t-on d’autre que la nature? Ce guide est commun aux poëtes qui inventent et aux poëtes qui font parler Alexandre. A quoi leur peuvent servir Quinte-Curce et tous les auteurs qui ont écrit de lui? Horace défend qu’on les suive scrupuleusement ce seroit être copiste, traducteur, et non pas poëte. Trois ou quatre traits que l’on a laissés d’Alexandre ne peuvent pas composer un rôle de tragédie. Il faut donc faire dire à Alexandre des choses qu’il n’a jamais dites, mais telles pourtant qu’elles pussent être avouées par Alexandre, s’il étoit au monde. M. D** trouve-t-il cette entreprise fort aisée, et dira-t-il encore qu’on a un guide? a

M. D* « Le dessein de M. de S* n’a été sans doute que de me contester l’explication que je donne à si audes, que j’explique « si vous osez a et il veut qu’il signifie « si vous êtes assez hardi ». Véritablement je n’y vois pas de différence, et je lui en donne le choix. »

Réponse. Je veux fort bien recevoir l’explication de si audes par « si vous osez », pourvu qu’on l’entende d’une manière non équivoque2, et qu’on ne dise pas qu’Horace s’est servi de ce mot pour marquer qu’il admiroit la beauté de cette entreprise. Je veux au contraire que si audes signifie « si vous hasardez, si vous êtes assez hardi pour hasarder ». Peut-être M. D** trouvera-t-il quelque différence entre ces deux sens; etpuisqu’il m’en donne le choix, je prendscelui par lequel je crois qu’Horace a voulu détourner les poëtes d’inventer des i. Cette phrase que nous avons mise entre parenthèses est en note, à la marge, dans l’édition originale.

2. L’impression originale et les éditions de Groavelle et de 1818 portent a d’une manière équivoque. »