SUR VART POÉTIQUE. D’HORACE. 335
barreau sur les bancs de l’école, et cela au sujet du mot communia
qui l’eût jamais cru? Puisqu’il faut donc parler une langue toute
nouvelle, je dirai qu’il est vrai que toutes choses sont dans les tré-
sors de la nature, comme dit M. D** potentialiter, concéda ma-
teriaïtfer, nego Quand Horace parle à son livre et aux Pisons, il n’a
nullement en vue des êtres de raison: il parle de choses ordinaires,
et qui sont connues de tout le monde. Dans VJrt poétique, il en-
seigne des poëtes, et non pas des disciples de Scot. Il ne fait dans ce
discours aucune des abstractions qu’on fait dans les classes; il veut
être entendudetout lemonde.M.D**seulpouvoitrenfermerdansIe
mot communia des maximes de droit et de la plus fine métaphysique.
Je le prie de me dire si, quand Horace adresse ces mots à son livre
Paucis ostendi gémis, et communia laudas,
il vouloit dire « Tues fâché de n’être montré qu’à peu de gens, tu
loues les choses qui sont dans les trésors de la nature, et qui sont
sans exister. » J’espère que M. D** ne dira plus désormais si affir-
mativement qu’il a prouvé aussi fortement que comnzunia veut dire
« inconnu, etce qui n’existe pas » que coUeglum veut dire collége»:
il seroit le premier homme du monde qui eût trouvé l’invention de
prouver une chimère.
Mais pour entrer un peu dans la question de métaphysique, je
dirai à M. D** que j’ai l’esprit si grossier, que je ne puis croire que
ce soit sérieusement qu’il ait pu dire que « le triangle étoit avant
qu’aucun homme du monde se fût avisé de faire un triangle. » Il me
semble qu’il y a aussi peu de raison à dire qu’il y avoit un triangle
avant qu’il y*eût un. triangle, que si,l’on vouloit soutenir q u’il y avoit
de la lumière avant que le Seigneur eût dit Fiat lux3. J’ai peur que
M. D** n’ait honte de disputer contre un si stupide adversaire. Pour
le consoler, je lui dirai que je comprends fort bien que les hommes
ne font pas les vérités mathématiques, et qu’ils ne font seulement
que les découvrir. Elles subsistent toutes indépendamment d’eux
dans leur premier principe, qui n’est autre que Dieu même; et c’est
pour ainsi dire dans le sein de la divinité même qu’il faut les aller
chercher.Il y en a encore beaucoup qui ne sont pas découvertes. Par
exemple, il est certain qu’on peut trouver la raison qu’il y a entre
une ligne courbe et une ligne droite, quoique personne n’ait pu en-
j « Potentiellement, je l’accorde matériellement, je le nie. » Sévigné vou-
lait faire allusion au dialogue de Thomas Diafoirus et d’Angélique (acte II,
scène vi du Malade imaginaire) voyez un peu plus loin, fin de la p. 336;
du reste, Thomas ne se sert pas des mots potentialiter et materialiler.
2. « Que la lumière soit. » Voyez le chapitre I de la Genèse, verset 3.