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faille tant de douleurs pour faire mourir une personne si foible. Il y a des manières de mourir bien rudes et bien cruelles ; la sienne est des plus pitoyables qu’on puisse voir. Elle reçoit mes soins avec une grande tendresse ; je lui en rends de la même façon, et suis si extrêmement touchée de ses douleurs et de l’horrible désespoir de ma cousine, qu’il m’est impossible de n’en pas pleurer.

Voici une réflexion qui me vient sur les pertes que vous faites au jeu, et sur celles de M. de Grignan. Prenez-y garde, ma fille, il n’est pas agréable d’être la dupe. Soyez persuadée qu’un continuel malheur et un continuel bonheur n’est pas une chose naturelle. Il n’y a pas longtemps qu’on m’avoua le fredon[1] de l’hôtel de la Vieuville : vous souvient-il de cette volerie ? Il ne faut pas croire que tout le monde joue comme vous. Voilà ce que l’intérêt que je prends à vous me fait dire : comme il vient d’un cœur qui est à vous, je suis assurée que vous le trouverez bon. Ne trouverez-vous point bon aussi de savoir que Kéroual[2], dont l’étoile avoit été devinée avant qu’elle partît, l’a suivie très-fidèlement ? Le roi d’Angleterre l’a aimée ; elle s’est trouvée avec une légère disposition à ne le pas haïr : enfin elle se trouve grosse de huit mois : voilà qui est étrange. La Castelmaine[3] est disgraciée : voilà comme l’on fait dans ce royaume-là. Pendant

  1. 4. « Fredon, terme qui se dit de trois cartes semblables, comme trois rois, trois dix, etc., et qui n’a d’usage qu’en certains jeux, comme le Hoc et la Prime. » (Dictionnaire de l’Académie de 1694.) — Sur les la Vieuville, voyez Saint-Simon, tome VIII, p. 330 et suivante.
  2. 5. Depuis duchesse de Portsmouth. Voyez la lettre du 11 septembre 1675 et la note.
  3. 6. La comtesse de Castelmaine, qui depuis le 3 août 1670 était duchesse de Cleveland : Barbe, fille et héritière de Guillaume Villiers, lord vicomte Grandisson en Irlande. Elle épousa, quelque temps avant la Restauration, Roger Palmer Esq., alors étudiant au