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1675 être tout déréglé ; mais la vie est pleine de choses qui blessent le cœur.

Je reviens, ma bonne, du service de M. de Turenne à Saint-Denis[1]. Mme d’Elbeuf m’est venue prendre, et m’a paru me souhaiter ; le petit cardinal[2] m’en a priée d’un ton à ne pouvoir le refuser. C’étoit une chose bien triste : son corps étoit là au milieu de l’église ; il est arrivé cette nuit avec une cérémonie si lugubre, que M. Boucherat, qui l’a reçu, et qui l’a veillé, en a pensé mourir de pleurer. Il n’y avoit que cette famille désolée et tous les domestiques en deuil et en pleurs ; on n’entendoit que des soupirs et des gémissements. Il n’y avoit d’amis que MM. Boucherat, de Harlay, de Barillon, et Monsieur de Meaux ; Mmes Boucherat y étoient, et les nièces. Mme d’Elbeuf a pensé crever de douleur ; sa vapeur s’y est mêlée, qui a fait un grand effet[3]. Ç’a été une chose triste de voir tous ses gardes debout, la pertuisane sur l’épaule, autour de ce corps qu’ils ont si mal gardé, et à la fin de la messe porter la bière jusqu’à une chapelle au-dessus du

  1. LETTRE 438. — « Le corps de Turenne fut apporté à Saint-Denys le 29e d’août 1675 (de Brie-Comte-Robert, où il avoit été mis en dépôt, dans l’église des minimes). Dom Claude Martin, pour lors grand prieur, accompagné de ses religieux, le reçut huit ou dix pas avant dans la nef, à la distinction des princes du sang, au-devant desquels on a coutume d’aller jusqu’au parvis. Après les harangues réciproques, le corps fut porté dans le chœur, sur une estrade couverte d’un dais aux armes du vicomte de Turenne. Le lendemain on lui fit un service solennel auquel assistèrent le cardinal et le duc de Bouillon, ses neveux, et plusieurs autres personnes de qualité. » (Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denys en France, par dom Félibien, p. 515.)
  2. Dans les éditions de Rouen (1726) et de 1754 : « le cardinal de Bouillon. » — À la ligne suivante, il y a d’un tour, dans l’édition de la Haye (1726) ; mais on lit d’un ton dans celles de 1725, de Rouen (1726), et dans les deux de Perrin.
  3. On lit ici de plus dans les éditions de Perrin : « On ne peut pas douter de la douleur de cette pauvre femme. »