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1675ouvriers, ou je travaille à mon très-commode ouvrage[1]. Enfin, mon enfant, la vie passe si vite, que je ne sais[2] comme on peut si profondément se désespérer des affaires de ce monde. On a le temps ici de faire des réflexions ; c’est ma faute si mes bois ne m’en inspirent l’envie. Je me porte toujours très-bien ; tous mes gens vous obéissent admirablement ; ils ont des soins de moi ridicules ; ils me viennent trouver le soir, armés de toutes pièces, et c’est contre un écureuil qu’ils veulent tirer l’épée.

J’ai reçu une très-aimable lettre du Coadjuteur : il se plaint extrêmement de vos railleries ; il me prie de le venger, et que[3] si je l’abandonne, Dieu ne l’abandonnera pas. Il m’envoie sa harangue, qui ne perd rien pour être imprimée : elle est belle en perfection. Il m’envoie aussi la lettre que vous lui écrivez sur ce sujet : elle est piquante et salée[4] partout ; vous lui donnez des traits dont il est fort digne, car vous savez que personne n’entend si bien raillerie que lui ; il est tombé en bonne main. Je l’aime trop de m’avoir envoyé cette lettre : elle m’est encore meilleure aujourd’hui, parce que je n’en ai point d’autre. J’avois bien envie de vous mander ce que vous lui dites sur vos évêques[5] : vous avez vu que je le pensois. Il me mande qu’il perdra le tiers de son abbaye.

Goûtons l’unique bien des cœurs infortunés[6].
  1. Notre manuscrit a le féminin : « ma très-commode ouvrage. »
  2. Il y a ici de plus dans les deux éditions de Perrin : « et par conséquent nous approchons sitôt de notre fin, que je ne sais, etc. »
  3. Perrin a ajouté un mot dans sa seconde édition : « m’assurant que si je l’abandonne. »
  4. Il y a une épithète de plus dans l’édition de 1734 : « elle est admirable ; elle est piquante et salée, etc. »
  5. Voyez la lettre du 24 septembre précédent, p. 146.
  6. On lit dans le Thésée de Quinault
    Goûtons l’unique bien des cœurs infortunés :
    GoûNe soyons pas seuls misérables.
    Ces deux vers sont quatre fois répétés par Médée dans la viie scène