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1676Mme de la Fayette est fort reconnoissante de votre lettre ; elle vous trouve très-honnête et très-obligeante ; mais ne vous paroît-il pas plaisant que son beau-frère[1] n’est point du tout mort, et qu’on ne sait point les vérités de Toulon à Aix ?

Sur les questions que vous faites au frater, je décide hardiment que celui qui est en colère, et qui le dit, est préférable au traditor qui cache son venin sous de belles et douces apparences. Il y a une stance dans l’Arioste qui peint la fraude : ce seroit bien mon affaire, mais je n’ai pas le temps de la chercher[2].

Le bon d’Hacqueville me parle encore du voyage de la Saint-Géran ; et pour me faire voir que ce voyage sera court : « C’est, dit-il, qu’elle ne pourra recevoir qu’une de mes lettres à la Palisse. » Voilà comme il traite une connoissance de huit jours : il n’en est pas moins bon pour les autres ; mais cela est admirable.

J’oubliois de vous dire que j’avois pensé, comme vous, aux diverses manières de peindre le cœur humain, les

  1. Serait-ce Jacques, chevalier de Malte, le dernier des frères de son mari ?
  2. Avea piacevol viso, abito onesto,
    Un umil volger d’occhi, un andar grave,
    Un parlar si benigno e si modesto,
    Che parea Gabriel che dicesse AVE.
    Era brutta e deforme in tutto il resto ;
    Ma nascondea queste fattezze prave
    Con lungo abito e largo ; e sotto quello
    Attossicato avea sempre il coltello.
    (Orlando furioso, canto XIV, st. lxxxvii.)

    « Elle avait un visage agréable, un habit décent, des roulements d’yeux tout pleins d’humilité, une démarche grave, un parler si doux et si modeste, qu’on l’aurait prise pour Gabriel disant Ave. Elle était hideuse et repoussante dans tout le reste, mais elle cachait ses difformités dans les plis d’une longue et large robe, sous laquelle elle portait toujours un couteau empoisonné. »