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1676notre belle Loire est entièrement à sec en plusieurs endroits. Je ne comprends pas comme auront fait Mme de Montespan et Mme de Tarente ; elles auront glissé sur le sable. Nous partons à quatre heures du matin ; nous nous reposons longtemps à la dinée ; nous dormons sur la paille et sur les coussins du carrosse, pour éviter les incommodités de l’été. Je suis d’une paresse digne de la vôtre par le chaud ; je vous tiendrois compagnie à causer sur un lit, tant que terre nous pourroit porter. J’ai dans la tête la beauté de vos appartements ; vous avez été longtemps à me les dépeindre.

Je crois que si nous y étions, vous m’expliqueriez[1] ces ridicules qui viennent des défauts de l’âme : je les devine à peu près. Je suis toujours d’accord de mettre au premier rang du bon ou du mauvais tout ce qui vient de ce côté-là : le reste me paroît supportable, et quelquefois excusable ; les sentiments du cœur me paroissent seuls dignes de considération ; c’est en leur faveur que l’on pardonne tout : c’est un fonds qui nous console, et qui nous paye de tout ; et ce n’est donc que par la crainte que ce fonds ne soit altéré, qu’on est blessé de la plupart des choses.

Nous parlerions encore de vos beaux tableaux, et de la mort extraordinaire de Raphaël d’Urbin[2] ; je ne l’eusse pas imaginée, non plus que le chaud de la Saint-Jean : il y a plus de dix ans que j’avois remarqué qu’on se chauffoit fort bien aux feux qu’on y fait ; c’est sur cela que j’avois compté, et que je me suis mécomptée. Les médecins appellent l’opiniâtreté de mes mains, un reste de

  1. LETTRE 551 (revue en grande partie sur une ancienne copie). — « Je crois que sur ce lit vous m’expliqueriez. » (Édition de 1754.)
  2. Ce peintre si renommé mourut (en 1520) à l’âge de trente-sept ans, d’un excès que lui fit faire son goût déréglé pour les femmes. (Note de Perrin.) Un jour qu’il avait été saisi d’une fièvre violente, dont il cacha la cause, ses médecins ordonnèrent une saignée qui le tua.