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1676poison : on ne parle ici d’autre chose. Il s’est trouvé un muid de vin empoisonné, qui a fait mourir six personnes. Je vois souvent Mme de Vins : elle me paroît toute pleine d’amitié pour vous. Je trouve que M. de la Garde et vous, ne devriez point vous quitter : quelle folie de garder chacun votre château, comme du temps des guerres de Provence ! Je suis fort aise d’être estimée de lui. La marquise d’Uxelles[1] est en furie de son mariage ; elle est trop plaisante, elle ne s’en peut taire. Quand vous ne savez que me mander, contez-moi vos pétoffes d’Aix. M. Marin attend son fils[2] cet hiver. Je comprends le plaisir que vous donne la beauté et l’ajustement du château de Grignan : c’est une nécessité, dès que vous avez pris le parti d’y demeurer autant que vous faites. Le pauvre baron ne viendra pas ici : le Roi l’a défendu. Nous avons approuvé les dernières paroles de Ruyter[3], et admiré la tranquillité où demeure votre mer. Adieu, très-belle, très-aimable, je jouis délicieusement de l’espérance de vous voir et de vous embrasser. Mme d’Oppède est venue me dire adieu avec beaucoup de civilité, et toujours me disant fort modestement qu’en Provence vous ne trou-

  1. Voyez la Notice, p. 156.
  2. Premier président du parlement d’Aix. (Note de Perrin.)
  3. Dans la Vie de Ruyter par Girard Brandt sont rapportées un grand nombre de paroles ou patriotiques ou religieuses prononcées par le grand amiral, dans les derniers moments de sa vie ; celle-ci entre autres : « Je suis ici au poste où Dieu m’a appelé, et s’il lui plaît de m’en retirer en me retirant du monde, je suis prêt et tout disposé. » Durant le combat même, après qu’il avait été mortellement blessé, on l’avait entendu dire plusieurs fois : « Seigneur, conserve l’armée de mon État ; épargne par ta grâce nos officiers, nos matelots et nos soldats, qui supportent tant de fatigues pour un si petit gain. Inspire-leur la force et le courage, afin que sous ta bénédiction nous puissions remporter la victoire. Seigneur, donne une favorable issue à ton peuple pendant ma foiblesse, comme tu as eu la bonté de l’accorder ci-devant durant ma vigueur…. »