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1676enfin ce qui s’appelle la cour de France, se trouve dans ce bel appartement du Roi que vous connoissez. Tout est meublé divinement, tout est magnifique. On ne sait ce que c’est que d’y avoir chaud ; on passe d’un lieu à l’autre sans faire la presse en nul lieu. Un jeu de reversi donne la forme, et fixe tout. C’est le Roi (Mme de Montespan tient la carte)[1], Monsieur, la Reine et Mme de Soubise ; Dangeau et compagnie ; Langlée et compagnie. Mille louis sont répandus sur le tapis, il n’y a point d’autres jetons. Je voyois jouer Dangeau ; et j’admirois combien nous sommes sots auprès de lui. Il ne songe qu’à son affaire, et gagne où les autres perdent ; il ne néglige rien, il profite de tout, il n’est point distrait[2] : en un mot, sa bonne conduite défie la fortune ; aussi les deux cent mille francs en dix jours, les cent mille écus en un mois, tout cela se met sur le livre de sa recette. Il dit[3] que je prenois part à son jeu, de sorte que je fus assise très-agréablement et très-commodément. Je saluai le Roi, comme vous me l’avez appris ; il me rendit mon salut, comme si j’avois été jeune et belle. La

  1. LETTRE 563. — C’est le texte des éditions de 1725, de Rouen (1726) et de la première de Perrin (1734). Dans l’impression de la Haye (1726), on lit : « C’est le Roi et Mme de Montespan qui tiennent la carte ; » dans la seconde de Perrin (1754) : « Le Roi est auprès de Mme de Montespan, qui tient la carte. » Quatre lignes plus bas, dans cette même édition de 1754, Perrin a ajouté au jeu après sots.
  2. Fontenelle raconte, dans l’Éloge de Dangeau, qu’un jour que ce courtisan allait se mettre au jeu, il demanda au Roi un appartement dans le château de Saint-Germain. Le Roi lui répondit qu’il lui accorderait cette grâce, pourvu qu’il la demandât en cent vers qu’il ferait pendant la partie. Le jeu terminé, Dangeau récita les cent vers qu’il avait faits, comptés et retenus dans sa mémoire, sans que cet effort eût paru lui causer la moindre distraction. La Bruyère a peint Dangeau sous le nom de Pamphile dans le chapitre des Grands. (Note de l’édition de 1818.)
  3. Dans l’édition de la Haye : « il vit. »