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1675


431. —— DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À MADAME DE GRIGNAN.
À Paris, du 16e août.

JE voudrois mettre tout ce que vous m’écrivez de M. de Turenne dans une oraison funèbre : vraiment votre lettre est d’une énergie et d’une beauté extraordinaire ; vous étiez dans ces bouffées d’éloquence que donne l’émotion de la douleur. Ne croyez point, ma bonne, que son souvenir fût fini ici quand votre lettre est arrivée : ce fleuve qui entraîne tout, n’entraîne pas sitôt une telle mémoire ; elle est consacrée à l’immortalité, et même dans le cœur d’une infinité de gens dont les sentiments sont fixés sur ce sujet. J’étois l’autre jour chez M. de la Rochefoucauld. Monsieur le Premier[1] y vint : Mme de Lavardin, M. de Marsillac, Mme de la Fayette et moi[2]. La conversation dura deux heures sur les divines qualités de ce véritable héros : tous les yeux étoient baignés de larmes, et vous ne sauriez croire comme la douleur de sa perte est profondément gravée dans les cœurs : vous n’avez rien par-dessus nous que le soulagement de soupirer tout haut et d’écrire son panégyrique. Nous remarquions une chose, c’est que ce n’est pas depuis sa mort[3] que l’on admire la grandeur de son cœur, l’étendue de ses lumières et l’élévation de son âme : tout le monde en étoit plein pendant sa vie ; et vous pouvez penser ce que fait sa perte par

  1. LETTRE 431 (revue sur une ancienne copie). — Henri de Beringhen, premier écuyer du Roi. Voyez tome II, p.185, note 3.
  2. Tel est le texte du manuscrit, et des impressions de 1725, 1726 et 1734. Perrin, dans sa seconde édition, a ainsi corrigé la phrase : « J’étois l’autre jour chez M. de la Rochefoucauld, avec Mme de Lavardin, Mme de la Fayette et M. de Marsillac. Monsieur le Premier y vint ; la conversation, etc. »
  3. On lit à sa mort, pour depuis sa mort, dans les éditions de 1725 et 1726.