Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/414

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1680 J’ai ici le bon abbé, qui vous honore toujours tendrement et Mme de Guitaut, car nous sommes touchés de son mérite, et c’est une marque du nôtre. Nous sommes venus sur la belle Loire avec des commodités infinies : j’avois soin de lui faire porter une petite cave pleine du meilleur vin vieux de notre Bourgogne ; il prenoit cette boisson avec beaucoup de patience, et quand il avoit bu, nous disions : « Le pauvre homme ! » car j’avois aussi trouvé l’invention de lui faire manger du potage et du bouilli chaud, dans le bateau. Il mérite bien que j’aie toute cette application pour un voyage où il vient, à son âge, avec tant de bonté ; je l’ai remis entre les mains du vin de Grave, dont il s’accommode fort bien.

Je reçois présentement mes lettres de Paris ; on me mande que l’intendant de M. de Luxembourg est condamné aux galères[1]; qu’il s’est dédit de tout ce qu’il avoit dit contre son maître : voilà un bon ou un mauvais valet ; pour lui, il est sorti de la Bastille plus blanc qu’un cygne ; il est allé pour quelque temps à la campagne. Avez-vous jamais vu des fins et des commencements d’histoires comme celles-là ? Il faudroit faire un petit tour en litière sur tous ces événements.

Ma fille m’écrit du 8e de ce mois : elle me mande qu’elle se porte fort bien, que sa poitrine ne lui fait aucun mal. Celui de la belle duchesse de Fontanges est quasi guéri par le moyen du prieur de Cabrières. Voyez un [peu[2]] quelle destinée ! cet homme que je compare au médecin forcé, qui faisoit paisiblement des fagots, comme dans la comédie, se trouve jeté à la cour par un tourbillon qui lui fait traiter et guérir la beauté la plus considérable

  1. 5. Voyez la note 33 de la lettre précédente, p. 404.
  2. 6. Mme de Sévigné a oublié le mot peu ; à la fin de l’alinéa, elle a écrit arrive, pour arrivent.