Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 7.djvu/169

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1681 leurs cadets à la maréchaussée, ne leur doivent pas écrire monseigneur, et que ces cadets, devenus maréchaux, seroient ridicules de le prétendre. Ce n’est pas que tous les anciens lieutenants généraux sachent maintenir leur rang ; j’en connois un, brave et de grande qualité, qui étoit[1] lieutenant général commandant un corps d’armée, dans le temps que Créquy étoit à l’académie, qui le traita de monseigneur, quand il fut fait maréchal de France. On a beau avoir du courage, si l’on n’a pas bon esprit[2], on fait mille bassesses aux occasions.

Le retour de M. de Luxembourg à la cour est surprenant au dernier point : il n’y a rien de pareil dans l’histoire de France. J’admire la bonté du Roi en cette rencontre ; je n’en aurois pas eu une aussi grande[3]si j’avois été en sa place. Si j’avois fait arrêter un homme de grande qualité, officier de ma couronne, et capitaine de mes gardes, sur des soupçons de poison et de sortilège, je ne le ferois pas mourir, ni même rester en prison, si les juges le trouvoient innocent, mais je ne m’en servirois jamais, et surtout auprès de ma personne. La politique vouloit qu’on laissât M. de Luxembourg chez lui toute sa vie ; il faut que le Roi en ait usé autrement par un principe d’une conscience fort délicate.

Pour moi, je ne suis pas si heureux que M. de Luxembourg, suivant les maximes du monde ; mais je le suis

  1. 4. « Ce n’et pas que tous les anciens lieutenants généraux en usent ainsi ; j’en connois un, homme de grande qualité, et brave, qui étoit, etc. » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale)
  2. 5. « On a beau avoir du cœur, si on n’a pas de l’esprit, etc. » (Ibidem.)
  3. 6. « Je n’en aurais pas eu une si grande, si j’avais été en sa place. J’en demande pardon à Dieu. Si j’avais fait arrêter…, je ne le perdrais pas, si les juges, etc. » Et à la fin de l’alinéa : « Il faut que le Roi en ait usé autrement par un principe de conscience. » (Ibidem.)