Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 8.djvu/19

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1687 une grande charité à un des hommes du monde qui vous estime le plus, et qui est le plus incommodé de la goutte.

Je pourrois finir ici ma lettre, n’étant à autre fin ; mais je veux vous demander par occasion comme vous vous portez d’être grand-père. Je crois que vous avez reçu une gronderie que je vous fais sur l’horreur que vous me témoigniez de cette dignité : je vous donnois mon exemple et vous disois : « Pétus, non dolet.[1] » En effet, ce n’est point ce que l’on pense : la Providence nous conduit avec tant de bonté dans tous ces temps différents de notre vie, que nous ne les sentons quasi pas ; cette pente va doucement, elle est imperceptible : c’est l’aiguille du cadran que nous ne voyons pas aller. Si à vingt ans on nous donnoit le degré de supériorité dans notre famille, et qu’on nous fît voir dans un miroir le visage que nous avons, ou que nous aurons à soixante ans, en le comparant à celui de vingt, nous tomberions à la renverse, et nous aurions peur de cette figure ; mais c’est jour à jour que nous avançons ; nous sommes aujourd’hui comme hier, et demain comme aujourd’hui ; ainsi nous avançons sans le sentir, et c’est un des miracles de cette Providence que j’adore. Voilà une tirade où ma plume m’a conduite, sans y penser. Vous avez été, sans doute, de la belle et bonne compagnie qui étoit chez le cardinal de Bonzi[2].

  1. 3. C’est le mot célèbre d’Arria à Pétus : voyez Pline, le jeune, lettre XVI du livre III. Mme de Sévigné a mis le nominatif au lieu du vocatif, ou peut-être commencé sa citation comme si elle voulait la faire en français. L’édition de 1773 donne Paete, non dolet. Trois lignes plus loin, elle a perte, au lieu de pente ; et vers la fin du paragraphe : « c’est un miracle, » pour : « c’est un des miracles. »
  2. 4. Probablement pendant la tenue des états, présidés par le cardinal de Bonzi, archevêque de Narbonne. Voyez tome II, p. 517, note 6, et tome VII, p. 522, note 2.