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1110. DE MADAME DE SÉVIGNÉ

A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, ce mercredi 22è décembre.

Vous êtes si vive au milieu de nos cœurs, ma chère fille, et toutes nos actions, nos pensées roulent si fort sur vous, et comme vous disiez, nous sommes tellement assemblés en votre nom, que nous ne pouvons souffrir de ne plus voir entrer cette chère Comtesse, que nous aimons si passionnément : je parle en communauté, car votre enfant sent fort bien votre absence et le malheur de ne vous point voir. Je lui dis sans cesse de profiter du solide bonheur d’avoir un oncle comme le chevalier ; nous causons avec lui fort utilement : il y a bien de petites choses qu’il faut encore lui apprendre pour le manége de la société et de la conversation. Quand il retombe quelquefois ou à être distrait, ou à faire des questions mal placées, je me souviens de la fable de la Chatte qui devint femme[1] : elle s’échappoit quelquefois quand elle voyoit passer une souris ; aussi le marquis, qui est un homme, laisse quelquefois voir un moment qu’il est enfant ; car, de bonne foi, ne devroit-il pas entrer présentement à l’académie? et voyez tout ce qu’il a fait. Il est assurément fort joli et fort changé : je l’embrasse[2] fort souvent, vous êtes mon prétexte ; car je le prends quelquefois en trahison, et je lui explique d’où cela vient. Mme de la Fayette, chez qui son oncle l’a mené, en est fort contente. Je le mènerai chez Mme de Lavardin, qui n’a pas voulu vous faire un complimen .

  1. LETTRE 1110.1. Voyez dans la Fontaine la fable XVIII du livre II, la Chatte métamorphosée en femme
  2. 2. La fin de cette phrase depuis : « je l’embrasse, » et la phrase suivante, manquent dans le texte de 1787.