Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 9.djvu/57

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LE GENTILHOMME DE l'ARRIERE-BAN[1]

Dans ma maison des champs, sans chagrin, sans envie, Je passois doucement la vie Avec quelques voisins heureux, Peu guerrier [2] et fort amoureux. Ma bergère, mes prés, mes bois et mes fontaines, Ou faisoient mes plaisirs, ou soulageoient mes peines. J’allois à Paris rarement; Mais Paris quelquefois venoit dans mon village, J’entends quelques amis, qui venoient bonnement Me voir et manger mon potage. Je les traitois fort sobrement ; Mes pigeons, mes poulets, tout leur sembloit charmant, On parloit de l’amour, et jamais de la guerre. Je plaignois le roi d’Angleterre, Sans dessein de le soulager; Je laissois aux héros le soin de le venger. La gloire et les honneurs n’étoient pas ma foiblesse Et je me piquois de noblesse, Seulement pour ne pas payer La taille et les impôts que paye un roturier. Aujourd’hui j’ai regret d’être né gentilhomme ; Ce titre glorieux m’assomme Hélas! il me contraint, en ce malheureux an, De paroître à l’arrière-ban. O vous, mon bisaïeul, de tranquille mémoire, Dont les armes n’étoient que l’aune[3] et l’écritoire, qui viviez en bourgeois et poltron et prudent, Reconnoissez en moi votre vrai descendant.

  1. 7. 7. « Ce n’est pas Bussy (comme il est dit dans une note des OEuvres de Pavillon et dans l'édition de Sévignê de 1818), à qui l’on doit la conservation (ou du moins la première publication) de cette petite pièce, qui rappelle les chansons faites au quinzième siècle sur les francs archers (voyez M.le Roux de Lincy, Chants historiques, tome l). Elle se trouve dans le Mercure galant, juillet 1689, p. 187. » {Note de M. L. Lalanne.)
  2. 8. « Dans le Mercure guerriers, » au pluriel.
  3. 9. Au lieu de l’aune, on lit dans le Mercure, par erreur sans doute, l’ancre (l’encre)