Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/101

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à tour des plaisirs et des satisfactions qui doivent, pour le moins, me rendre sainte : dès que j’entends quelque chose de beau, je vous souhaite ; vous avez part à tout ce que je pense : j’admire en moi, tous les jours, les effets naturels d’une extrême amitié. Je vous embrasse tendrement, embrassez-moi aussi. Une petite amitié à mon coadjuteur : pour M. de Grignan, il me semble qu’il est si glorieux de vous avoir, qu’il n’écoute plus personne.


31. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, mardi 3 mars 1671.

Si vous étiez ici, ma chère enfant, vous vous moqueriez de moi ; j’écris de provision, mais c’est par une raison bien différente de celle que je vous donnais un jour, pour m’excuser d’avoir écrit à quelqu’un une lettre qui ne devait partir que dans deux jours : c’était parce que je ne me souciais guère de lui, et que dans deux jours je n’aurais pas autre chose à lui dire. Voici tout le contraire : c’est que je me soucie beaucoup de vous, que j’aime à vous entretenir à toute heure, et que c’est la seule consolation que je puisse avoir présentement. Je suis aujourd’hui toute seule dans ma chambre, par l’excès de ma mauvaise humeur. Je suis lasse de tout ; je me suis fait un plaisir de dîner ici, et je m’en fais un de vous écrire hors de propos : mais, hélas ! vous n’avez pas de ces sortes de loisirs. J’écris tranquillement, et je ne comprends pas que vous puissiez lire de même : je ne vois pas un moment où vous soyez à vous ; je vois un mari qui vous adore, qui ne peut se lasser d’être auprès de vous, et qui peut à peine comprendre son bonheur. Je vois des harangues, des infinités de compliments, de civilités, de visites ; on vous fait des honneurs extrêmes, il faut répondre à tout cela, vous êtes accablée. Que fait votre paresse pendant tout ce fracas ? Elle souffre, elle se retire dans quelque petit cabinet, elle meurt de peur de ne plus retrouver sa place ; elle vous attend dans quelque moment perdu pour vous faire au moins souvenir d’elle, et vous dire un mot en passant. Hélas ! dit-elle, m’avez- vous oubliée ? Songez que je suis votre plus ancienne amie, celle qui ne vous a jamais abandonnée, la fidèle compagne de vos plus beaux jours ; que c’est moi qui vous consolais de tous les plaisirs, et qui même quelquefois vous les faisais haïr ; qui vous ai empêchée de mourir d’ennui, et en Bretagne et dans votre grossesse : quelquefois votre mère troublait nos plaisirs, mais je savais bien où vous repren-