Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/104

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songerez plus au pont d’Avignon. Faut-il que j’y pense, moi, présentement ? C’est le malheur des commerces si éloignés ; il faut s’y résoudre, et ne pas même se révolter contre cet inconvénient : cela est naturel, et la contrainte serait trop grande d’étouffer toutes ses pensées ; il faut entrer dans l’état naturel où l’on est, en répondant à une chose qui tient au cœur : vous serez donc obligée de m’excuser souvent. J’attends les relations de votre séjour à Arles ; je sais que vous y aurez trouvé bien du monde. Ne m’ aimez- vous point de vous avoir appris l’italien ? Voyez comme vous vous en êtes bien trouvée avec ce vice-légat : ce que vous dites de cette scène est excellent ; mais que j’ai peu goûté le reste de votre lettre ! Je vous épargne mes éternels recommencements sur ce pont d’Avignon, je ne l’oublierai de ma vie.


33. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 11 mars 1671.

Je n’ai point encore reçu vos lettres ; j’en aurai peut-être avant que de fermer celle-ci : songez, ma chère enfant, qu’il y a huit jours que je n’ai eu de vos nouvelles ; c’est un siècle pour moi. Vous étiez à Arles ; mais je ne sais rien par vous de votre arrivée à Aix. Il me vint hier un gentilhomme[1] de ce pays-là, qui était présent à cette arrivée, et qui vous a vue jouer à petite prime avec Vardes[2], Bandol, et un autre ; je voudrais pouvoir vous dire comme je l’ai reçu, et ce qu’il m’a paru, de vous avoir vue jeudi dernier. Vous admiriez tant l’abbé de Vins d’avoir pu quitter M. de Grignan, j’admire bien plus celui-ci de vous avoir quittée : il m’a trouvée avec le père Mascaron, à qui je donnais un très-beau dîner : comme il prêche à ma paroisse, et qu’il vint me voir l’autre jour, j’ai pensé que cela était d’une vraie petite dévote de lui donner un repas ; il est de Marseille, et a trouvé fort bon d’entendre parler de Provence. J’ai su encore, par d’autres voies, que vous avez eu trois ou quatre démêlés à votre avènement : ma fille, on ne parvient point à ne pas avoir de ces malheurs en province, mais, comme il n’y a peut-être rien de vrai dans ce qu’on m’a conté, j’attendrai que vous m’en parliez, avant que de vous dire mon

  1. M. de Julianis,
  2. Le marquis de Vardes, disgracié par Louis XIV, était alors relégué dans son gouvernement d’Aigues-Mortes.