Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/123

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Pour vous fortifier, je vous apprends que la reine, et tout ce qu’il y a de filles et de femmes qui se coiffent à Saint-Germain, achevèrent hier de les faire couper. par la Vienne ; car c’est lui et mademoiselle de la Borde qui ont fait toutes les exécutions. Madame de Crussol vint lundi à Saint-Germain, coiffée à la mode ; elle alla au coucher de la reine, et lui dit : Ah ! madame, Votre Majesté a donc pris notre coiffure ? Votre coiffure ! lui répondit la reine ; je vous assure que je n’ai point voulu prendre votre coiffure ; je me suis fait couper les cheveux, parce que le roi les trouve mieux ainsi : mais ce n’est point pour prendre votre coiffure. On fut.un peu surpris du ton avec lequel la reine lui parla. Mais voyez un peu aussi où madame de Crussol allait prendre que c’était sa coiffure, parce que c’est celle de madame de Moutespan, de madame de Nevers, de la petite de ïhiauges, et de deux ou trois autrès beautés charmantes qui l’ont hasardée les premières I Je vous ai vue vingt fois prête à l’inventer ; cela me fait croire que vous n’aurez point de peine à comprendre ce que nous vous en écrivons. Madame de Soubise, qui craint pour ses dents, parce qu’elle a déjà été une fois attrapée aux coiffures à la paysanne, ne s’est point fait couper les cheveux ; et mademoiselle de la Borde lui a fait une coiffure qui est tout aussi bien que les autres par les côtés : mais le dessus de sa tête n’a garde d’être galant, comme celles dont on voit la racine des cheveux. Enfin, madame, il n’est question d’autre chose à Saint-Germain ; et moi, qui ne veux point me faire couper les cheveux, je suis ennuyée à la mort d’en entendre parler.

Madame de Sévigné.

Cette lettre est écrite hors d’œuvre chez Trochanire. La comtesse (de Flesque) vous embrasse mille fois ; le comte, que j’ai vu tantôt, voudrait bien en faire autant : je lui ai dit votre souvenir, et le dirai à tous ceux que je trouverai en chemin.

Après tout, nous ne vous conseillons point de faire couper vos beaux cheveux ; et pour qui, bon Dieu ? Cette mode durera peu ; elle est mortelle pour les dents : taponnez-vous seulement par grosses boucles, comme vous faisiez quelquefois ; car les petites boucles rangées de Montgobert sont justement du temps du roi Guillemot.


43. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi io avril 1671.

Je vous écrivis mercredi par la poste, hier matin par Magalotti, aujourd’hui encore par la poste ; mais hier au soir je perdis une belle occasion. J’allai me promener à Vincennes, en famille et eu Troche[1] ; je rencontrai la chaîne des galériens, qui partait pour

  1. Avec madame de la Troche, son amie.