Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à mon fils que j’approuve le procédé de cette mère, que voilà comme il faut corriger les enfants, et que je veux faire amitié avec elle. Je crois qu’il est à Paris, votre petit frère ; il aime mieux m’y attendre que de reveDir ici ; il fait bien. Mais que dites-vous de mon mari, l’abbé d’Effiat ? Je suis bien malheureuse en maris : il épouse une jeune nymphe de quinze ans, fille de M. et de madame de la Bazinière, façonnière et coquette en perfection ; le mariage se fait en Touraine ; il a quitté quarante mille livres de rente de bénéfices pour Dieu veuille qu’il soit content ! Tout le monde en

doute, et trouve qu’il aurait bien mieux fait de s’en tenir à moi. M. d’Harouïs m’écrit ceci : « Mandez à madame de Carignan « que je l’adore ; elle est à ses petits états ; ce ne sont pas des gens « comme nous qui donnons des cent mille écus ; mais au moins « qu’ils lui donnent autant qu’à madame de Chaulnes pour sabienvenue. » Il aura beau souhaiter, et moi aussi ; vos esprits sont secs, et leur cœur s’en ressent ; le soleil boit toute leur humidité, et c’est ce qui fait la bonté et la tendresse. Ma fille, je vous embrasse mille fois ; je suis toujours dans la douleur d’avoir perdu un de vos paquets la semaine passée : la Provence est devenue mon vrai pays ; c’est de là que viennent tous mes biens et tous mes maux. J’attends toujours les vendredis avec impatience, c’est le jour de vos lettres. Saint-Pavin fit autrefois une épigramme sur les vendredis, qui étaient les jours qu’il me voyait chez l’abbé ; il parlait aux dieux, et finissait :

Multipliez les vendredis,
Je vous quitte de tout le reste.

À l’applicazione, signora. M. d’ Angers[1] m’écrit des merveilles de vous ; il a fort vu M. d’Uzès[2], qui ne peut se taire de vos perfections ; vous lui êtes très-obligée de son amitié ; il en est plein, et la répand avec mille louanges qui vous font admirer. Mon abbé vous aime très-parfaitement, la Mousse vous honore, et moi je vous quitte : ah ! marâtre. Un mot aux chers Grignan.


72. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche I er novembre 1671.

Si cette première lettre de Coulanges que j’ai perdue était comme les trois autres, il en faut pleurer ; car, tout de bon, on ne peut

  1. Henri Arnauld, évêque d’Angers.
  2. Jacques Adhémar de Montcil, évêque d’Uzès, oncle de M. de Grignan.