Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/18

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Dois-je chasser l’ami de mon cousin[1] ?
Dois-je chasser le cousin de la reine[2] ?

Peut-être craindrez-vous de vous attacher au service des princes, et que mon exemple vous en rebutera ; peut-être la taille de l’un ne vous plaira-t-elle pas [3] ; peut-être aussi, la figure de l’autre [4] : mandez-moi des nouvelles de celui-ci, et les progrès qu’il a faits depuis mon départ ; à combien $ acquits patents il a mis votre liberté. La fortune vous fait de belles avances, ma chère cousine ; n’en soyez point ingrate. Vous vous amusez après la vertu, comme si c’était une chose solide ; et vous méprisez le bien, comme si vous ne pouviez jamais en manquer, etc. » De pareils conseils restaient sans effet sur madame de Sévigné. Assurément sa résistance aux attaques du prince de Conti et aux insinuations de Bussy n’avait point sa source dans l’indifférence d’une nature froide ; peu de femmes eurent une sensibilité plus active, une imagination plus vive qu’elle. Mais elle voulait être sage ; et la perfection de sa raison lui donnait la force de l’être. D’ailleurs aucun de ceux qui soupiraient pour elle n’offrait l’idéal de tendresse et de bon goût nécessaire pour séduire un cœur aussi délicat, un esprit aussi fin et aussi sensible aux imperfections que le sien. Cet idéal ne se trouvait ni dans l’épais et honnête Turenne, ni dans le médiocre et ambitieux Conti, ni dans l’inconstant Fouquet ; encore moins dans le fat chevalier de Méré, et dans le diseur de bons mots M. du Lude, qui furent aussi au nombre des soupirants ; encore moins dans le bonhomme Ménage, car lui aussi fut blessé au cœur, et risqua plus d’une fois, malgré sa timidité et sa gaucherie, des déclarations qui étaient repoussées avec de piquantes et inoffensives plaisanteries.

Madame de Sévigné refusait ceux qui sollicitaient ses bonnes grâces, de manière à les décourager sans les fâcher. Elle mettait dans ses refus un tact si délicat, des façons si douces et si aimables, un ascendant si fort de bon sens et de raison, que les amants

    branche aînée. Madame de Sévigné était le dernier rejeton de la branche aînée des Rabutins.

  1. Fouquet.
  2. Le prince de Conti.
  3. Le prince de Conti était contrefait.
  4. Fouquet, qu’on disait ne point trouver de cruelles, devait moins ses succès aux agréments extérieurs qu’au charme de l’esprit et à l’attrait d’une grande fortune libéralement prodiguée.