Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/209

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Mon frère, ce n’est pas ainsi que des frères se doivent embrasser ; et l’embrasse fraternellement. Tout ce détail est de très-bon lieu, et rien n’est plus vrai : vous pouvez là-dessus faire vos réflexions, tirer vos conséquences, et redoubler vos belles passions pour le service du roi votre maître. On dit que Madame fera le voyage, et que plusieurs dames l’accompagneront. Les sentiments sont divers chez Monsieur : les uns ont le visage alongé d’un demi-pied, d’autres l’ont raccourci d’autant. On dit que celui du chevalier de Beuvron est infini. M. de Navailles revient aussi, et servira de lieutenant général dans l’armée de Monsieur, avec M. de Schomberg. Le roi a dit au maréchal de Villeroi : « Il fallait cette petite pénitence à votre fils, mais les peines de ce monde ne durent pas toujours. Vous pouvez vous assurer que tout ceci est vrai ; c’est mon aversion que les faux détails, mais j’aime les vrais : si vous n’êtes de mon goût, vous êtes perdue ; car en voici d’infinis.

La Marans était l’autre jour seule en mante chez madame de Longueville ; on sifflait dessus. Langlade vous mande que l’autre jour, en vue de vous plaire, il la releva bien de sentinelle sur des sottises qu’elle lui disait, et qu’il vous eût bien souhaité derrière la porte : plût à Dieu que vous y eussiez été ! Madame de Brissac était inconsolable chez madame de Longueville ; mais par malheur le comte de Guiche se mit à causer avec elle, et elle oublia son rôle, aussi bien que celui du désespoir le jour de la mort[1] ; car il fallait en un certain endroit qu’elle eût perdu connaissance ; elle l’oublia, et reconnut fort bien des gens qui entraient.

Adieu, ma très-chère, ma très-aimable ; ne trouvez-vous pas qu’il y a bien longtemps que nous sommes séparées ? Je suis frappée de cette douleur d’une manière tellement importune, qu’elle me serait insupportable, si je n’aimais à vous aimer autant que je fais, quelques peines qui y soient attachées.


90. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi au soir, 26 février 1672.

J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite pour M. de la Valette ; tout m’est cher de ce qui vient de vous : je lui veux faire avoir Pellisson pour rapporteur, afin de voir s’il sait bien faire le maître des requêtes ; je ne le puis croire, si je ne le vois.

  1. De madame la princesse de Conti.