Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/276

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

songe que c’était vous-même que j’avais, et que j’ai eue quinze mois de suite, je ne puis retourner sur ce passé sans une grande tendresse et une grande douleur. Il y a des gens qui m’ont voulu faire croire que l’excès de mon amitié vous incommodait ; que cette grande attention à vouloir découvrir vos volontés, qui. tout naturellement devenaient les miennes, vous faisait assurément une grande fadeur et un grand dégoût. Je ne sais, ma chère enfant, si cela est vrai ; ce que je puis vous dire, c’est qu’assurément je n’ai pas eu dessein de vous donner cette sorte de peine. J’ai un peu suivi mon inclination, je l’avoue ; et je vous ai vue autant que je l’ai pu, parce que je n’ai pas eu assez de pouvoir sur moi pour me retrancher ce plaisir ; mais je ne crois point vous avoir été pesante. Enfin, ma fille, aimez au moins la confiance que j’ai en vous, et croyez qu’on ne peut jamais être plus dénuée ni plus touchée que je le suis en votre absence. La Providence m’a traitée bien rudement, et je me trouve fort à plaindre de n’en savoir pas faire mon salut. Vous me dites des merveilles de la conduite qu’il faut avoir pour se gouverner dans ces occasions ; j’écoute vos leçons, et je tâche d’en profiter. Je suis dans le train de mes amies, je vais, je viens ; mais quand je puis parler de vous, je suis contente, et quelques larmes me font un soulagement nonpareil. Je sais les lieux où je puis me donner cette liberté ; vous jugez bien que, vous ayant vue partout, il m’est difficile, dans ces commencements, de n’être pas sensible à mille choses que je trouve en mon chemin. Je vis hier les Villars, dont vous êtes révérée ; nous étions en solitude aux Tuileries ; j’avais dîné chez M. le cardinal, où je trouvai bien mauvais de ne vous voir pas. J’y causai avec l’abbé de Saint-Mihiel, à qui nous donnons, ce me semble, comme en dépôt, la personne de Son Éminence ; il me parut un fort honnête homme, un esprit droit et tout plein de raison, qui a de la passion pour lui, qui le gouvernera même sur sa santé, et l’empêchera bien de prendre le feu trop chaud sur la pénitence. Us partiront mardi ; et ce sera encore un jour douloureux pour moi, quoiqu’il ne puisse être comparé à celui de Fontainebleau. Songez, ma fille, qu’il y a déjà quinze jours, et qu’ils vont enfin, de quelque manière qu’on les passe. Tous ceux que vous m’avez nommés apprendront votre souvenir avec bien de la joie ; j’en suis mieux reçue. Je verrai ce soir notre cardinal ; il veut bien que je passe une heure ou deux chez lui les soirs avant qu’il se couche, et